Cheminer vers l’unité : communion eucharistique et divergences doctrinales

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion d’assister, dans le cadre d’un colloque pour les 50 ans de l’ISEO, à une conférence du Cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

Cette conférence avait pour but de présenter une rétrospective du mouvement œcuménique au 20e siècle et les défis pour l’avenir. Parmi ceux-ci, le cardinal a justement attiré l’attention sur l’expansion du mouvement pentecôtiste qui, d’après certains sociologues, constitue même, au moins en partie, une quatrième confession chrétienne, à côté des catholiques, des protestants et des orthodoxes. Toutefois, ce n’est pas l’objet de cet article.

Ici, j’aimerais simplement partager quelques réflexions que j’ai pu avoir concernant les divisions entre chrétiens et le problème de l’unité. C’est un sujet que j’ai déjà quelque peu abordé dans mon article sur le christianisme confessant et qui me tient très à cœur.

Histoire et désunions

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler dans ma présentation, je viens à l’origine d’un milieu confessionnel marqué par une position très anti-œcuménique. D’après ce point de vue, les autres Eglises (catholiques et orthodoxes notamment, mais aussi certaines Eglises protestantes « hérétiques ») ne sont pas de véritables Eglises, même s’il peut éventuellement y avoir quelques « vrais croyants » en leur sein (et encore !). A partir de là, la seule solution est que ces personnes se disant chrétiens, mais ne l’étant finalement pas vraiment, se convertissent, c’est-à-dire qu’elles rejoignent notre Eglise (qui est bien sûr la « seule vraie »).

Cependant, à travers mes études d’histoire le Saint-Esprit m’a conduit dans un cheminement spirituel qui m’a progressivement fait changer d’avis sur ce sujet (et sur bien d’autres !). En approfondissant un certain nombre de questions doctrinales, je me suis rendu compte que ce l’on avait pu me présenter comme une évidence était en réalité souvent bien plus complexe.

Le fondement de la foi

Aujourd’hui, je considère donc que toute Eglise fidèle à ce que les premiers Pères de l’Eglise appelaient « la règle de la foi » est une vraie Eglise. Cela ne veut pas dire que je reste indifférent aux divergences doctrinales, bien au contraire. Seulement, je pense que celles-ci ne devraient pas être une cause de divisions et que nous devrions plutôt rester unis spirituellement pour cheminer ensemble vers la Vérité.

Cependant, quelque soit mon opinion à ce sujet, il faut bien admettre que nous vivons à une époque où le christianisme est visiblement divisé. Ces divisions sont déjà très anciennes et remontent aux premiers siècles (1), mais elles n’ont fait que s’accroitre au fil du temps. Face à cela, plusieurs options sont possibles, et c’est tout l’enjeu du mouvement œcuménique.

Trois chemins d’unité

Tout d’abord, on peut se « satisfaire » de ces divisions et les considérer comme une fatalité à laquelle on ne peut pas remédier. Souvent, on se donne bonne conscience en affirmant que l’Eglise, « la vraie », est spirituellement unie, même si cela n’est pas visible sur Terre. Cette position est très populaire dans le monde évangélique. Je viens de milieux qui soutiennent cette idée et pendant longtemps, j’y ai moi-même adhérée. Toutefois, aujourd’hui, elle ne me paraît plus satisfaisante, car elle implique une sorte de « docétisme ecclésiologique ». En se contentant de cette « unité spirituelle », on néglige la réalité terrestre de l’Eglise.

La deuxième position est d’affirmer qu’il y a bien une Eglise terrestre visible unie et des Eglises, ou communautés ecclésiales, séparées. C’est officiellement la position de l’Eglise catholique romaine et des Eglises orthodoxes, même si depuis Vatican II la doctrine a été quelque peu assouplie. Cela revient à identifier l’Eglise du Christ avec une institution visible.
Enfin, une troisième position, surtout tenue dans les milieux protestants oecuménistes, mais à laquelle peuvent aussi adhérer des théologiens d’autres confessions, considère que les différentes Eglises visibles forment une seule Eglise. C’est la « théorie des branches ». J’adhère personnellement à une variante de cette troisième position, dont je parlerai certainement dans un prochain article.

Unité spirituelle et vérités intellectuelles

Le choix entre les deux dernières options dépend, à mon avis, de la place que nous accordons à l’unité doctrinale et à la communion eucharistique, ces deux éléments étant étroitement liés.

L’idée qui domine actuellement, et dont le cardinal Koch s’est fait le porte-parole, est que l’unité de l’Eglise, manifestée par la pleine communion eucharistique, implique un accord doctrinal complet. La communion eucharistique est donc un but atteindre et ne peut être restaurée qu’une fois les divergences doctrinales résolues.

Cette position me paraît cependant peu réaliste et surtout théologiquement contestable. En effet, au cours de l’histoire, l’Eglise a continuellement développé ses doctrines. Je pense que ce n’est pas une mauvaise chose en soi, bien au contraire. Le problème c’est que ce développement s’est fait de manière autoritaire et a eu comme conséquence l’exclusion de tous ceux qui n’étaient pas convaincus. Ce processus, dont on peut voir les prémices lors de la querelle pascale, s’est considérablement développé à partir du concile de Nicée. Je consacrerai d’ailleurs quelques articles à ces questions historiques.

Toutefois, je pense que même si les conciles avaient eu raison, ce qui ne me paraît pas toujours être le cas, le principe de base est faux et, en se comportant ainsi, on a oublié le message fondamental de Jésus. Les exclusions réciproques ont créé des blessures qui ont elles-mêmes produit de la haine. Ce n’est donc pas étonnant si ensuite ces divisions ont donné lieu à des conflits particulièrement violents. Or, cette haine et ces conflits empêchent de cheminer sereinement vers la Vérité.

Une autre approche

De mon côté, je prône plutôt une autre approche. Comme je l’ai dit au début de cet article, je pense que l’accord intellectuel devrait se faire sur la base de la règle apostolique et, plutôt que de voir l’unité doctrinale complète comme condition de la communion eucharistique, je propose au contraire de voir la communion eucharistique comme une source et une ressource conduisant à l’unité doctrinale. Ainsi, la communion eucharistique n’est plus une fin, mais un moyen de cheminer vers cette unité complète.

Je pense que si nous voulons cheminer ensemble, il faut commencer par être uni spirituellement, ce qui permettra ensuite d’aborder plus sereinement toutes les vérités intellectuelles.
Il est intéressant de noter que le cardinal Koch a reconnu le rôle fondamental de la prière dans les progrès réalisés par le mouvement œcuménique au cours du 20e siècle. Mais faut-il rappeler que pendant longtemps l’idée même de prier avec des chrétiens d’autres confessions était rejetée par la hiérarchie de l’Eglise romaine ? Et aujourd’hui les Eglises orthodoxes, ainsi que certaines Eglises protestantes, sont encore très réticentes sur cette question.

Alors, pourquoi ne pas envisager une évolution semblable avec la communion eucharistique ?

Conclusion

Je pense que le mouvement œcuménique doit faire face à trois obstacles majeurs: le fatalisme, le confessionnalisme et l’indifférentisme.

Le premier est de considérer que la situation actuelle est inévitable et qu’il n’y a donc rien à faire pour la changer. Le deuxième, souvent lié au premier, est de penser que seule son Eglise confessionnelle est la véritable Eglise et que par conséquent le problème de la division du christianisme ne peut être résolu que par un ralliement des autres chrétiens à son Eglise. Enfin, le troisième est à l’inverse de penser que les questions doctrinales n’ont plus aucune importance.

De mon côté, je pense au contraire que pour progresser, il faut commencer par des petits pas concrets, qui ont déjà produit beaucoup de résultats positifs au cours du siècle passé.

Un pas important, pour ne pas dire décisif, serait à mon avis d’inverser le rapport entre communion spirituelle et unité doctrinale et comprendre qu’il ne faut pas attendre la seconde pour appliquer la première, mais au contraire que c’est grâce à une communion spirituelle que nous pourrons nous rapprocher doctrinalement afin de cheminer vers la Vérité.

Note

(1) J’en profite pour signaler que l’expression « d’Eglise indivise » pour parler de l’Eglise au premier millénaire est une grave erreur historique. Si l’Eglise avait réellement été indivise au premier millénaire, alors il n’y aurait pas non plus eu de divisions au second millénaire. La rupture entre Rome et Constantinople ne peut pas être comprise si on fait abstraction de tous les conflits du premier millénaire, à commencer par les séparations avec les Eglises non-éphésiennes (« nestoriennes ») et non-chalcédoniennes (« monophysites »).

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.