Quelle communion avec les saints des générations passées ?

Mes études d’histoire m’ont conduit à rencontrer des catholiques et j’ai ensuite pris l’habitude de participer à leurs offices, lorsque l’occasion se présentait. Tout récemment, un ami catholique m’a demandé ce que je pensais de la prière aux saints. N’étais-je pas gêné lorsque ces prières ont lieu durant les offices auxquels j’assiste ? Ce sujet est effectivement un point de divergence entre catholiques et protestants. Peut-être même un des plus visibles. En effet, les catholiques, comme les orthodoxes, rendent un culte aux saints (hommages, prières, etc.), ce que les protestants considèrent généralement comme de l’idolâtrie.

Il m’a semblé intéressant de partager ma réponse sous forme d’un article. Je commencerai donc par évoquer les deux principales objections protestantes et j’expliquerai pourquoi, selon moi, elles ne sont pas théologiquement valides. Ensuite, je présenterai les véritables problèmes de cette pratique. Problèmes qui concernent plus les raisons du culte, que le culte lui-même. Enfin, je terminerai en évoquant ma propre attitude, afin de répondre à la question qui m’a été initialement posée.

Les grandes objections protestantes 

En général, les protestants considèrent que le culte des saints transgresse deux interdits bibliques, puisqu’il implique une communication avec les morts et une pratique idolâtrique. Je vous propose donc pour commencer d’examiner ces deux objections.

Communication avec les morts

La première objection est que s’adresser aux saints revient à communiquer avec des morts, ce qui est strictement interdit par la Bible.

A cela, on peut répondre que justement les saints ne sont plus morts mais vivants avec le Christ. C’est toute la différence entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. On voit dans la Bible que déjà sous l’Ancienne Alliance des personnes décédées pouvaient intercéder en faveur du peuple :

« L’Éternel me dit: Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, je ne serais pas favorable à ce peuple. Chasse-le loin de ma face, qu’il s’en aille! » Jérémie 15 : 1.

Dans ce passage, Dieu évoque la possibilité que Moïse et Samuel, décédés depuis plusieurs siècles, se présentent devant Lui pour intercéder en faveur du peuple d’Israël qui a gravement péché.

Nous ne savons pas cependant si cela pouvait concerner tous les croyants. Il semble plutôt qu’il s’agissait là de quelques individus exceptionnels. Cependant, depuis que Jésus a vaincu la mort sur la croix, les croyants ne sont plus au séjour des morts, mais auprès de Dieu, comme l’atteste l’Apocalypse :

« Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage qu’ils avaient rendu. Ils crièrent d’une voix forte, en disant: Jusques à quand, Maître saint et véritable, tardes-tu à juger, et à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre? Une robe blanche fut donnée à chacun d’eux; et il leur fut dit de se tenir en repos quelque temps encore, jusqu’à ce que fût complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères qui devaient être mis à mort comme eux. » Apocalypse 6 : 9-11.

Ainsi, on ne s’adresse pas à des morts, mais à des vivants. Demander à tel saint décédé d’intercéder en notre faveur n’est donc pas différent que de demander à d’autres chrétiens (vivants) de prier avec nous. C’est la solidarité entre les différents membres du corps du Christ qui est en action.

Idolâtrie

La deuxième critique concerne l’idolâtrie. Honorer les saints reviendrait à accorder à d’autres la gloire que Dieu mérite. Mais là encore, je ne pense pas que cette objection tienne. En effet, les saints sont membres du corps de Christ. Or, la tête peut-elle s’offusquer qu’un autre membre soit honoré ? Si quelqu’un nous dit que nous avons de jolies mains, notre cerveau ne va pas s’offusquer. Au contraire, tout honneur rendu à un membre rejaillit sur l’ensemble du corps. Ainsi tout honneur rendu à un saint revient finalement à Christ. En définitif, c’est donc bien Christ, et par conséquent Dieu dont il est l’image parfaite, qui est honoré. Honorer les croyants des générations précédentes ne contredit donc pas le Soli Deo Gloria.

Un risque de superstition

Avant d’en venir aux problèmes de fond posés par le culte des saints, j’aimerais cependant préciser que la critique de l’idolâtrie n’est pas complètement fausse. En effet, si en théorie le culte n’est pas idolâtrique, il faut bien constater que dans la pratique on peut facilement franchir la ligne rouge pour tomber dans une forme de superstition qui ne diffère en rien des polythéismes païens.

Une collègue de mon laboratoire de recherche, qui travaille sur le catholicisme contemporain en Italie, expliquait par exemple qu’au milieu du 20e siècle des gens tentaient d’acheter les saints pour obtenir des bienfaits et les punissaient s’ils n’avaient pas ce qu’ils voulaient. Ainsi, les statuts des saints étaient parfois mises dans le coin des églises (comme les petits enfants pas sages « punis au coin »), ou alors ligotées, voire même parfois trempées dans le fleuve, ce qui s’apparente à un acte de torture, puisque l’on coule le saint à plusieurs reprises pour le forcer à nous exaucer ! On voit très clairement que ces pratiques relèvent d’une véritable superstition qui n’a plus de justification théologique.

Par ailleurs, sans en faire une règle absolue, on peut aussi constater que dans plusieurs cas le culte des saints a pu simplement remplacer des cultes antérieurs. Lorsque les missionnaires sont arrivés en Amérique, ils ont parfois simplement remplacé les anciens dieux par des statuts de saints et les peuples locaux ont pu finalement continuer leurs rites. Au lieu d’honorer leurs anciennes divinités, ils honoraient maintenant les saints. On comprend bien que dans ce cas, cette pratique crée dans l’esprit des gens une forme de syncrétisme qui les éloigne de la foi chrétienne.

Si honorer les saints est à mon avis justifiable d’un point de vue théologique, on ne peut pas non plus nier que dans la pratique ces cultes peuvent parfois se rapprocher d’une forme de polythéisme, ou d’un syncrétisme, qui n’est plus vraiment chrétien.

Toutefois, au delà de ces dérives possibles, il existe à mon avis trois problèmes de fond que j’aimerais maintenant examiner avec vous et qui concernent l’image de Dieu, notre identité en Christ et la définition de « saint ».

Les problèmes du culte des saints

Si les deux objections courantes ne sont à mon avis pas théologiquement valides, cela ne veut cependant pas dire que cette pratique ne pose aucun problème. Simplement les problèmes ne sont pas dans l’acte lui-même, mais plutôt dans les motivations de fond, les idées théologiques qui sous-tendent cette pratique.

Une des premières leçons d’anthropologie que j’ai apprise, c’est qu’il ne faut pas se limiter à l’acte, mais s’intéresser aux motivations et au sens que les personnes accordent à l’acte qu’elles exécutent. En effet, un même acte peut avoir des sens très variables pour les différentes personnes qui le pratiquent. La question qu’il faut donc nous poser est : pourquoi une personne choisit-elle de s’adresser à un saint plutôt qu’à Dieu ? Il peut y avoir de bonnes et de mauvaises raisons. Parmi les raisons évoquées, deux posent à mon avis de graves problèmes théologiques.

Une mauvaise image de Dieu

La première raison concerne l’image que nous avons de Dieu. Beaucoup de gens préfèrent s’adresser aux saints et à Marie plutôt qu’à Dieu, car ils ont peur de Dieu. Le Père apparaît comme un Dieu distant et sévère. Nous avons peur de nous approcher de Lui et de nous adresser à Lui. Au contraire, Marie est une figure féminine, celle de la douce mère, vers laquelle nous pouvons aller. Elle représente la mère aimante, tandis que le Père, Lui, inspire la crainte.

Mais cette distinction repose sur une fausse conception de Dieu qui ne tient pas compte de la révélation apportée par Jésus. En effet, l’incarnation avait justement pour but de nous révéler qui était véritablement le Père pour dissiper toutes les mauvaises représentations que nous pouvions avoir de Lui.

Lorsque nous découvrons la vraie nature de Dieu, nous comprenons que nous pouvons directement nous confier en Lui, puisque nous ne le voyons plus comme un Dieu distant que nous devrions craindre.

Il faut cependant souligner que bien souvent, les théologiens protestants se sont contentés de rejeter le culte des saints sans s’attaquer à ce problème de fond et ont au contraire continué à véhiculer une fausse image de Dieu.

Un accès détourné

La deuxième critique, en lien avec cette mauvaise image, concerne ce que j’appelle « le chemin détourné ». Celle-ci est parfaitement illustrée par les propos d’un évêque entendus ce week-end. Pour justifier le fait de s’adresser aux saints plutôt qu’à Dieu directement, il proposait la parabole suivante :

« Imaginez que vous vouliez rencontrer un homme important, pensez-vous que vous serez reçus si vous tapez directement à sa porte ? Evidemment non, il vous faudra d’abord passer par plusieurs intermédiaires qui vous introduirons auprès de lui ».

Ce raisonnement est parfaitement juste… à un détail près. Reprenons cette parabole et ajoutons y ce détail.

Imaginez donc que vouliez rencontrer le président de la République. Certes un individu lambda aurait certainement besoin de nombreux intermédiaires pour pouvoir y accéder. Mais imaginez aussi que vous êtes le fils de ce président. Pensez-vous que vous auriez besoin de ces mêmes intermédiaires ? Ne croyez-vous pas que vous disposeriez au contraire d’une ligne directe vous permettant de contacter votre père ?

Or, justement, par son incarnation Jésus a fait de nous des fils de Dieu :

« Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Et vous n’avez point reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions: Abba! Père! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers: héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ » Romains 8 : 14-17.

Dieu n’est donc plus ce président lointain et inaccessible qu’il nous faudrait contacter par de nombreux intermédiaires, il est le père avec qui nous avons une ligne de communication directe.

En affirmant que nous aurions besoin d’intermédiaires pour nous approcher de Dieu, nous oublions notre nouvelle identité en Christ. C’est une grande partie de l’Evangile qui disparaît.

Qui sont les « saints » ?

Enfin, le troisième point, qui est plus anecdotique, sans pour autant être sans importance concerne la définition de « saints ». Le culte des saints conduit à réserver le terme de « saints » à des croyants décédés, alors que dans les écrits apostoliques, le terme de « saint(s)» est simplement synonyme de croyants. Les apôtres désignaient les chrétiens sous le nom de « frères » et de « saints ».

Ce terme est particulièrement employé par l’apôtre Paul, mais aussi parfois par d’autres auteurs, comme Jude. Plusieurs dizaines de cas pourraient être relevés, j’en donnerai simplement quelques exemples :

« C’est ce que j’ai fait à Jérusalem. J’ai jeté en prison plusieurs des saints, ayant reçu ce pouvoir des principaux sacrificateurs, et, quand on les mettait à mort, je joignais mon suffrage à celui des autres. » Actes 26 : 10.

« Saluez Philologue et Julie, Nérée et sa soeur, et Olympe, et tous les saints qui sont avec eux. » Romains 16 : 15.

« Paul, apôtre de Jésus Christ par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, et à tous les saints qui sont dans toute l’Achaïe » 2 Corinthiens 1 : 1.

« Bien aimés, comme je désirais vivement vous écrire au sujet de notre salut commun, je me suis senti obligé de le faire afin de vous exhorter à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. » Jude 1 : 3.

Conclusion

Pour conclure, je récapitulerai les points que nous avons vus, avant de terminer en exposant ma propre attitude et les raisons de celle-ci.

Je pense que les critiques traditionnelles adressées au culte des saints par les protestants (communication avec les morts et idolâtries) ne sont théologiquement pas justifiées d’un point de vue théorique. Je reconnais néanmoins que dans la pratique, le culte des saints peut dériver vers de l’idolâtrie.

Cependant, mes réserves sur cette pratique concernent plus les raisons de fond qui motivent le culte. Parfois ce culte peut être le résultat d’une fausse image de Dieu et d’une méconnaissance de notre identité en Christ.

Pourtant, ce culte a au moins un aspect positif, puisqu’il met en valeur la communion universelle de l’Eglise qui englobe tous les membres du corps de Christ. Ceux de notre génération, mais aussi ceux des générations passées, ce qui manque souvent dans le protestantisme.

A titre personnel, je ne prie donc pas les saints durant mes temps de culte privé, mais je m’adresse directement à Dieu le Père, selon la pratique des premiers chrétiens.

En revanche, lors des offices publics, cela ne me dérange pas de participer aux prières collectives. Pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, je ne considère pas cette pratique comme de l’idolâtrie et je pense au contraire que cela manifeste l’unité de l’Eglise à travers le temps.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.