La doctrine des (douze) apôtres ou Didachè

Je vous propose de continuer ma série d’articles sur les Pères de l’Eglise, en vous présentant un deuxième texte : la Doctrine des (douze) apôtres, aussi appelée Didachè.

Ce texte est un traité destiné à l’instruction des chrétiens. Il s’occupe avant tout de la pratique de la foi, c’est-à-dire du comportement du chrétien, en tant qu’individu, mais aussi à l’échelle de la communauté. Cela correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui la morale et la liturgie.

Origine et datation

Tout d’abord évoquons le sens du titre. Qui sont les apôtres ? Certains estiment qu’il s’agit des douze apôtres et que l’auteur, un de leur proche qui reste anonyme, veut simplement rapporter leur doctrine. D’autres pensent plutôt que le terme d’apôtre est à comprendre au sens large et désigne ce que nous appellerions aujourd’hui des « implanteurs d’Eglises » ou des « missionnaires pionniers ».

Il est vrai que l’auteur est probablement proche des apôtres, et notamment de Jacques, mais à titre personnel, je pense que la lecture de l’ouvrage suggère plutôt la deuxième option. En effet, le terme d’apôtre est utilisé à plusieurs reprises pour désigner les ministères itinérants.

La datation de l’ouvrage est discutée. On le considère en général comme très ancien et on le fait même remonter à l’époque du Nouveau Testament (années 70, voire même avant). Ceux qui le datent le plus tardivement estime qu’il a été écrit dans la première moitié du IIe siècle.

Personnellement, je penche plutôt pour la première option, car les usages évoqués dans ce livre correspondent à des pratiques qui avaient lieu au temps des apôtres et qui ont ensuite disparu assez rapidement.

A cause de son ancienneté, la Didachè a bénéficié d’un grand prestige dans certains milieux chrétiens. Toutefois, au IVe siècle, lorsque le canon biblique a été à peu près clôturé, ce livre n’a finalement pas été retenu dans le Nouveau testament, car les pratiques liturgiques et disciplinaires qu’il véhiculait ne correspondaient plus aux habitudes de l’époque. En effet, il accorde, comme nous le verrons, une grande place aux ministères charismatiques (prophètes, enseignants itinérants, etc.) et la hiérarchie locale est encore très rudimentaire (des diacres et des évêques).

Plan

On peut distinguer trois grandes parties et une conclusion, qui est malheureusement coupée.

L’enseignement des Deux voies (ch. 1,1-6,3

a) La voie de la vie (1,1-4,14)

b) La voie de la mort (ch. 5,1-6,3)

La partie liturgique (ch. 7,1-10,7)

a) Le baptême (ch. 7)

b) Le jeûne et la prière (ch. 8)

c) Le repas eucharistique (ch. 9 et 10)

La partie disciplinaire (ch. 11-15)

a) Reconnaître un faux prophète et un faux enseignement (ch. 11)

b) L’hospitalité chrétienne (ch. 12)

c) Le salaire des prophètes et des enseignants (ch. 13)

d) La rencontre dominicale (ch. 14)

e) La hiérarchie locale (ch. 15)

Conclusion (ch. 16)

Extraits

Je vous propose maintenant des extraits des différentes sections afin de vous faire une idée du contenu.

Introduction

« Il y a deux voies : l’une de la vie et l’autre de la mort ; mais la différence est grande entre les deux voies. » (1)

Toute la première partie repose sur l’enseignement des deux voies. Il est intéressant de noter que l’auteur raisonne avant tout en terme de « vie » et de « mort » plutôt que de « bien » et de « mal ».

La doctrine des deux voies se retrouve assez souvent dans les textes anciens. J’aurai l’occasion d’en reparler.

Second commandement

« Second commandement de la doctrine : Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas l’adultère et tu éviteras la pédérastie, la fornication, le vol, la magie et la sorcellerie, tu ne tueras pas l’enfant par avortement et tu ne le feras pas mourir après la naissance. Tu ne convoiteras pas les biens du prochain. » (2)

Le second commandement regroupe toutes les actions à ne pas faire. Dans l’extrait que je vous ai proposé, l’auteur insiste notamment sur l’interdiction de l’avortement et de l’exposition, c’est-à-dire de l’abandon, des enfants, qui sont toutes deux assimilées à des meurtres. C’était des pratiques courantes à l’époque contre lesquelles les chrétiens ont lutté.

L’aumône

« N’étends pas les mains pour recevoir et ne les ferme pas pour donner. Si tu possèdes quelque chose par le travail de tes mains, tu le donneras pour le rachat de tes péchés. Tu n’hésiteras pas à donner et tu donneras sans murmurer ; car tu connaîtras un jour celui qui donne en retour le juste salaire. Tu ne te détourneras pas de l’indigent, mais tu mettras tous tes biens en commun avec ton frère et tu ne diras pas qu’ils te sont propres ; car si vous êtes solidaires dans l’immortalité, vous devez l’être à plus forte raison dans les choses périssables » (3)

Ce texte qui insiste sur l’importance d’une foi pratique agissant au travers des œuvres, est un écho direct à l’épître de Jacques. Quant à la communauté de bien, on ne peut s’empêcher de penser à la pratiquer de l’Eglise de Jérusalem (Ac.) Il est donc fort probable que l’auteur de ce texte vienne de ce milieu.

Le baptême

« Pour le baptême, baptisez de cette manière : après avoir dit auparavant tout ce qui précède (=l’enseignement sur les deux voies), baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit dans l’eau courante. Si tu n’as pas d’eau courante, baptise dans une autre eau, et si tu ne peux pas dans de l’eau froide, dans de l’eau chaude. Si tu manques de l’une et de l’autre, verse trois fois de l’eau sur la tête au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Que le baptisant, le baptisé et d’autres personnes qui le peuvent jeûnent avant le baptême ; mais ordonne au baptisé de jeûner un jour ou deux auparavant. » (4)

Ce texte est intéressant car il exprime un juste équilibre. On voit que les conditions du baptême ne sont pas laissées au hasard, mais en même temps l’auteur est suffisamment flexible pour accepter une certaine adaptation, tant que le sens même du baptême est préservé.

L’eucharistie

Prière avant le repas eucharistique :

« D’abord pour la coupe :

« Nous te rendons grâce, notre Père,

Pour la sainte vigne de David, ton serviteur, que tu nous as révélée par Jésus, ton serviteur. Gloire à toi, dans les siècles ! »

Puis pour le pain rompu :

« Nous te rendons grâce, notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as révélées par Jésus, ton serviteur. Gloire à toi dans les siècles !

Comme ce pain rompu, disséminé sur les montagnes, a été rassemblé pour être un, que Ton Eglise soit rassemblée de la même manière des extrémités de la Terre dans ton royaume. Car c’est à toi qu’appartiennent la gloire et la puissance par Jésus-Christ dans les siècles ! » (5)

Après le repas eucharistique :

« Nous te rendons grâce, Père saint, pour ton saint nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, et pour la connaissance, la foi et l’immortalité que tu nous as révélées par Jésus ton serviteur. Gloire à toi dans les siècles ! C’est toi, maître tout-puissant, qui as créé l’univers à cause de ton nom et qui as donné aux hommes la nourriture et la boisson en jouissance afin qu’ils te rendent grâce. Mais à nous, tu nous as fait la grâce d’une nourriture et d’une boisson spirituelles et de la vie éternelle par Jésus, ton serviteur. Pour tout, nous te rendons grâce, parce que tu es puissant. Gloire à toi dans les siècles ! Souviens-toi, Seigneur de ton Eglise, pour la délivrer de tout mal et la parfaire dans ton amour. Et rassemble-la des quatre vents, cette Eglise sanctifiée, dans ton royaume que tu lui as préparé. Car c’est à toi qu’appartiennent la puissance et la gloire dans les siècles ! Que la grâce vienne que ce monde passe ! Hosanna au Dieu de David ! Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ! Si quelqu’un ne l’est pas, qu’il change de voie ! Maranatha. Amen. » (6)

Ce passage est un des indices qui témoigne en faveur d’une très grande ancienneté du livre. En effet, le texte prévoit que l’eucharistie soit prise au moment d’un repas communautaire. Or cette pratique, évoquée par l’apôtre Paul qui y voyait une cause de désordre (1 Corinthiens 11 : 20-22), disparaît assez tôt des Eglises.

Distinguer les faux apôtres et les faux prophètes

« Pour les apôtres et les prophètes, selon le précepte de l’évangile, agissez de cette manière : Que tout apôtre qui vient chez vous soit reçu comme le Seigneur. Mais il ne restera qu’un seul jour et, si besoin est, le jour suivant ; s’il reste trois jours, c’est un faux prophète. A son départ, que l’apôtre ne reçoive rien en dehors du pain pour l’étape ; s’il demande de l’argent, c’est un faux prophète.

Par ailleurs, vous n’éprouverez aucun prophète qui parle sous l’inspiration de l’esprit et vous ne le jugerez pas non plus. Car tout péché sera remis, mais ce péché-là ne le sera pas. Tout homme qui parle sous l’inspiration de l’esprit n’est prophète en effet que s’il a les façons de vivre du Seigneur. On reconnaîtra donc à leurs façons de vivre le faux prophète et le prophète. » (7)

Il est intéressant de noter l’insistance sur le comportement. Bien évidemment, cela ne veut pas dire que l’enseignement est complètement passé sous silence. L’auteur avait précisé que celui-ci devait être conforme à la doctrine des apôtres. Cependant, on voit que l’accent est avant tout mis sur la vie de la personne.

Par ailleurs, il faut préciser que l’auteur n’est pas contre la rémunération des ministères, celle-ci est évoquée au chapitre 13, mais il dénonce ceux qui voudraient abuser de cela pour extorquer l’argent des fidèles.

L’hospitalité chrétienne

« Que toute personne qui vient au nom du Seigneur soit accueillie ; vous la connaîtrez ensuite, après l’avoir éprouvée, car vous saurez discerner la droite de la gauche. Si celui qui vient est un voyageur qui passe, aidez-le dans la mesure de vos possibilités ; mais il ne rester chez vous que deux ou trois jours, si c’est nécessaire. S’il veut s’établir chez vous et qu’il ait un métier, qu’il travaille pour manger ! Mais s’il est sans métier, prévoyez intelligemment les moyens qui permettront d’éviter qu’un chrétien ne vive avec vous dans l’oisiveté. S’il ne veut pas agir de cette manière, c’est un trafiquant du Christ ; gardez-vous des gens de cette espèce. » (8)

On retrouve là encore, dans ces paroles, l’enseignement de Paul, qui insistait sur l’importance du travail, se donnant lui-même en exemple.

La hiérarchie locale

« Elisez-vous donc des évêques et des diacres dignes du Seigneur, des hommes doux, désintéressés, sincères et éprouvés ; car ils remplissent eux aussi près de vous l’office des prophètes et des enseignants. » (9)

Comme dans l’Epître aux Corinthiens de Clément de Rome et les écrits de Paul, ce texte témoigne d’une hiérarchie primitive à deux étages avec les évêques (au pluriel) et les diacres. Par ailleurs, leur désignation se fait par élection au sein de l’Eglise locale.

Note

(1) Didachè, 1,1.

(2) Didachè, 2, 1-2.

(3) Didachè, 4,5-8.

(4) Didachè, 7, 1-4.

(5) Didachè, 9, 2-4.

(6) Didachè, 10, 2-7.

(7) Didachè, 11, 3-8.

(8) Didachè, 12, 1-5.

(9) Didachè, 15,1.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.