Dans un article précédent, j’ai insisté sur l’importance de la doctrine de la Création. Avant de poursuivre cette série, j’aimerais faire un détour par une question plus contemporaine.
Au XIXe siècle, une nouvelle théorie scientifique a vu le jour suite aux découvertes de Charles Darwin (1809-1882) : l’évolution des espèces. D’un côté, certains athées ont utilisé cette théorie pour appuyer leur croyance, affirmant que cette théorie s’opposait à l’existence de Dieu. De l’autre, un certain nombre de théistes (personnes croyant en l’existence de Dieu) se sont opposés, pour des motifs religieux, à cette théorie.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces deux catégories de personnes se retrouvent, d’un point de vue philosophique, dans le même camp, celui des « incompatibilistes ». C’est-à-dire qu’ils estiment que la théorie de l’évolution et l’existence de Dieu sont incompatibles. A l’inverse, il existe aussi des « compatibilistes ». Ces personnes, dont je fais partie, pensent que l’on peut accepter la théorie de l’évolution et l’existence de Dieu.
La situation actuelle
En général, on qualifie les opposants à la théorie de l’évolution de « créationnistes ». Personnellement, je préfère le terme de « fixistes ». En effet, étymologiquement parlant, tous les croyants sont nécessairement « créationnistes ».
Le débat création/évolution a agité l’Eglise catholique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Toutefois, les derniers papes, depuis Jean-Paul II, ont clairement pris position en faveur d’une création évolutive et ont estimé que la théorie de l’évolution n’était pas incompatible avec la Bible. Cette position est aujourd’hui acceptée par la grande majorité des catholiques, à l’exception de quelques groupes traditionnalistes marginaux.
En revanche, dans le protestantisme évangélique, les choses sont bien différentes et la majorité des évangéliques est encore fixiste. Le créationnisme fixiste est même devenu un marqueur identitaire pour certaines franges du monde évangélique. Sans vraiment se poser la question du pourquoi, on admet par habitude que la théorie de la Darwin et la Bible sont contradictoires. Qu’en est-il réellement ?
La cosmographique antique
Cette tension entre « science » et « foi » n’est pas nouvelle. On la rencontre à plusieurs reprises au cours de l’histoire. J’illustrerai cela par l’exemple que je connais le mieux, le débat cosmographique antique. La cosmographie est la manière dont on conçoit la Terre. Dans l’Antiquité, il y avait trois grands modèles :
- Le modèle archaïque, qu’on appelle aussi babylonien : la terre est plate et le ciel est une voûte qui s’appuie sur les extrémités de celle-ci. C’était le modèle répandu dans le monde sémite
- Le modèle géocentrique : la Terre est une sphère et les autres astres tournent autour de celle-ci
- Le modèle héliocentrique : la Terre est une sphère, mais elle tourne autour du Soleil
Ces deux derniers modèles étaient issus des savants grecs, et c’est le deuxième qui dominait. Comment les chrétiens se situaient-ils vis-à-vis de ces savoirs ?
Si on ne considère que la Bible, il n’y a aucun doute possible. De Genèse à l’Apocalypse en passant par les Psaumes, on ne peut conclure qu’à la véracité du premier modèle. Les Hébreux, comme tous les peuples sémitiques, avaient adopté le premier modèle et c’est bien celui-ci que l’on retrouve dans la Bible. Ainsi, au nom d’une lecture littérale de la Bible, beaucoup de chrétiens défendaient le modèle archaïque. Quelques uns, en revanche, pensaient qu’il ne fallait pas s’opposer aux savoirs profanes au nom d’une interprétation trop littéraliste. Pratiquant une interprétation plus allégorique de la Bible, ils estimaient que l’on pouvait tout à fait admettre que la Terre était sphérique comme l’affirmaient les savants grecs de l’époque.
Cette première catégorie de chrétiens (les littéralistes) accusait bien sûr ceux de la seconde catégorie de « corrompre la vérité biblique » en l’accommodant avec les savoirs profanes de l’époque. Or tous ces chrétiens qui fustigeaient les savants de leur époque, le faisaient au nom de la Bible et pouvaient s’appuyer sur elle. Par exemple à ceux qui affirmaient que la Terre était une sphère, ils pouvaient brandir le verset d’Apocalypse 7 : 1 et demander : « Mais où sont donc les quatre coins d’une sphère ? »
« Après cela, je vis quatre anges debout aux quatre coins de la terre ; ils retenaient les quatre vents de la terre, afin qu’il ne soufflât point de vent sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre. »
Bien malin en effet celui qui trouvera les « quatre coins » d’une sphère. Preuve évidente donc que la Terre est plate et que ceux qui affirment qu’elle est sphérique sont des hérétiques qui préfèrent les savoirs profanes aux Ecritures Saintes !
Et aujourd’hui ?
1500 ans plus tard, les choses n’ont pas beaucoup changé et nous retrouvons aujourd’hui les mêmes positions et les mêmes accusations. De nouveau, certains chrétiens s’acharnent à combattre la science. Comme autrefois, pensant sincèrement défendre la « vérité biblique », ils accusent tous ceux qui ne seraient pas d’accord avec eux de corrompre cette vérité biblique en s’adaptant à la science contemporaine.
Il est toutefois dommage que ces chrétiens ne tiennent pas compte des leçons du passé et tombent à nouveau dans les mêmes erreurs que d’autres chrétiens ont commises avant eux.
Je consacrerai une série d’articles spécifiquement à cette question, pour expliquer pourquoi, selon moi, la Bible ne s’oppose pas à la théorie de l’évolution. J’aimerais simplement ici proposer quelques pistes de réflexion.
Création et création ex-nihilo
Tout d’abord, l’opposition entre « créationnisme » et « évolutionnisme » n’est pas pertinente car « création » et « évolution » ne s’opposent pas. L’opposé de « l’évolutionnisme » n’est pas le « créationnisme » mais le « fixisme », c’est-à-dire l’idée que chaque espèce aurait été créée par Dieu telle qu’elle existe actuellement.
Cette position fixiste provient d’une confusion entre « création » et « création ex-nihilo ». Le présupposé qui se cache derrière la position fixiste est qu’une création est nécessairement une création ex-nihilo, c’est à-dire à partir de rien. Pour contredire la théorie de l’évolution, il faudrait donc prouver que la création des espèces décrite dans Genèse 1 est effectivement une création ex-nihilo. Or précisément, rien dans la Bible ne permet d’affirmer cela.
La mort
La deuxième objection concerne la mort. Le processus d’évolution suppose en effet que la mort existait dans le monde animal avant même la naissance d’Adam. Est-ce compatible avec les données bibliques ?
Nous voyons que dès le premier chapitre, le mécanisme de reproduction est en place.
« Dieu les bénit, en disant : Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers ; et que les oiseaux multiplient sur la terre. » (Genèse 1 :22)
La mortalité du corps est indispensable au bon fonctionnement de ce phénomène de reproduction. Imaginer que ces animaux puissent se reproduire sans mourir est difficilement plausible. On en viendrait vite à une situation de surpopulation intenable.
Le langage
En fait, le récit de la Genèse se comprend si on reprend le processus de croissance de l’humanité. C’est ce processus qui est justement le fondement de cette série d’articles. L’humanité grandit progressivement et à chaque époque, Dieu se révèle en utilisant un langage adapté à ses auditeurs. Or, on ne s’adresse pas de la même façon à un enfant de 2 ans, à un adolescent de 15 ans et à un adulte de 25 ans.
Lorsque ce texte a été écrit, l’humanité n’était qu’au stade de l’enfance. Il fallait donc que Dieu leur explique de manière simple et compréhensible la Création. Le but premier de ce texte est d’affirmer un certain nombre de vérités théologiques nécessaires pour comprendre la suite de la Révélation (l’existence d’un Dieu Unique, la distinction entre le Créateur et la Création, etc.), et non de dévoiler les mécanismes scientifiques de la Création.
Cette dernière question est intéressante, mais secondaire, et nécessite, pour être comprise, des connaissances intellectuelles que les hommes de l’époque n’avaient pas encore.
Une histoire de maman et de bébés
Pour illustrer cela, je vous propose une petite parabole. Imaginez qu’un enfant de 2 ans demande à sa maman, qui est professeur de biologie : « Maman, comment on fait les bébés ? »
Pensez-vous que la mère fournira à son enfant de 2 ans les mêmes explications qu’elle donne lorsqu’elle fait cours à des adolescents de 15 ou 16 ans ? Evidemment non, mais elle apportera une réponse adaptée à l’âge.A mesure qu’il grandira, l’enfant sera plus apte à comprendre le fonctionnement de certains mécanismes naturels. En revanche, il serait dommage que l’enfant refuse d’admettre les réponses plus complexes sous prétexte que, quand il était jeune, sa mère lui avait donné une réponse plus simple, adaptée à son âge. C’est exactement la même chose pour le récit de la création.
Conclusion
En conclusion, je ne doute pas un seul instant que les chrétiens qui luttent contre la théorie de l’évolution soient sincères dans leur démarche. Mais celle-ci n’en est pas moins contre-productive et terriblement dangereuse pour la foi. En effet, qu’ils le veuillent ou non, ils sont, sur le plan philosophique, les alliés objectifs des athées militants.
Les uns comme les autres affirment l’incompatibilité entre la Bible et la théorie de l’évolution. Bien sûr, chacun en tire une conclusion différente. Les premiers refusent la théorie de l’évolution, tandis que les seconds rejettent la Bible.
Toutefois, à une époque où 95% des scientifiques, et même jusqu’à 99% des biologistes (et parmi eux bon nombre de chrétiens) considèrent que la théorie de l’évolution est une vérité scientifiquement démontrée, la prise de position des premiers parait plus que téméraire.
De mon côté, je pense qu’il est inutile de chercher à opposer la science et la Bible, alors que celles-ci ne visent pas le même but. La science s’intéresse aux causes, tandis que la Bible s’intéresse aux raisons. La science explique le « comment », la Bible explique le « pourquoi ». Ces deux domaines ne doivent pas être séparés, mais ils ne peuvent pas non plus être confondus.
Cette parenthèse étant (provisoirement) terminée, je vous propose de reprendre notre cheminement pour suivre le plan de Dieu à travers l’Histoire.