Une question qui revient souvent est celle des différences doctrinales entre catholicisme et protestantisme. Pour y répondre, on pourrait énumérer les différents points un par un. Toutefois, il me semble qu’il y a une divergence fondamentale, celle de la conception de l’Eglise (l’ecclésiologie).
En effet, ce qui sépare les grandes confessions chrétiennes (catholicisme, orthodoxie et protestantisme), c’est leur définition de l’Eglise. Cette question, qui est théologique, peut ensuite se répercuter sur les doctrines, puisqu’elle touche à leur élaboration.
Je consacrerai une série d’articles à l’orthodoxie. Dans cet article, je me concentrerai donc sur le catholicisme et le protestantisme
Ignace de Loyola et l’Eglise catholique
Pour présenter cette différence ecclésiologique, c’est-à-dire touchant à la doctrine de l’Eglise, je partirai d’un texte important, les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola (1491-1556).
Ignace de Loyola est un acteur majeur de la Réforme catholique moderne, puisqu’il est le fondateur de la Compagnie de Jésus, les fameux « jésuites ». Pour guider ses disciples, Ignace a laissé un livre fondateur : les Exercices spirituels. Celui-ci a connu, comme l’Institution de Calvin, différentes versions. Je me base ici sur le texte définitif de 1548 approuvé par le pape Paul III (1534-1549).
Le fidèle face à l’Eglise catholique
Je vous propose maintenant deux paragraphes extraits de ce livre dans lesquels il énonce l’attitude du fidèle vis-à-vis de l’Eglise :
« Ayant supprimé tout jugement propre, il faut toujours tenir l’esprit disposé et prompt à obéir à la véritable épouse du Christ et notre sainte mère, qui est l’Eglise orthodoxe, catholique et hiérarchique. (…)
Enfin, pour être tout à fait d’accord et conformes à l’Eglise catholique, si elle définit qu’est noir ce qui est à nos yeux paraît blanc, nous devons de même déclarer que c’est noir. Car il faut croire sans hésitation qu’identique est l’Esprit de Notre Seigneur Jésus Christ et de l’Eglise orthodoxe son épouse, par lequel nous sommes gouvernés et dirigés vers le salut, et que c’est le même Dieu qui autrefois a enseigné les préceptes du décalogue et qui aujourd’hui instruit et dirige l’Eglise hiérarchique. » (1)
Pour comprendre cette attitude, il faut d’abord revenir sur la façon dont Ignace, exprimant la doctrine catholique romaine, définit l’Eglise.
La définition de l’Eglise
Ici, le terme clef est l’adjectif « hiérarchique » que l’on retrouve à la fin de chaque paragraphe. Protestants et catholiques reconnaissent que l’Eglise est le corps mystique du Christ, mais la divergence survient à propos de la réalité institutionnelle de l’Eglise. Peut-on identifier cette Eglise à une institution terrestre visible ? Pour les catholiques, la réponse est oui. Cette société « hiérarchique » est constituée de l’ensemble du clergé en communion avec l’évêque de Rome et forme l’Eglise hiérarchique, qui est une institution divino-humaine visible.
En revanche, pour les protestants, les institutions ecclésiales sont seulement humaines et aucune structure institutionnelle ne peut s’identifier à l’Eglise du Christ.
L’élaboration de la doctrine
C’est de cette conception différente que découle une autre divergence importante exprimée dans ces deux paragraphes. On peut la formuler sous forme d’une question toute simple : qui peut concrètement définir ce qu’est la bonne doctrine ?
D’un point de vue catholique, puisque l’Eglise est visible et institutionnellement identifiable, il faut donc que les fidèles se soumettent à ses jugements, même si ceux-ci sont en contradiction avec leurs idées personnelles. La formulation d’Ignace peut nous apparaître un peu « brute » et, aujourd’hui, choquerait sans aucun doute un certain nombre de catholiques, mais son raisonnement est tout à fait cohérent et peut même s’avérer théologiquement exact, si on accepte d’identifier l’Eglise à une institution visible.
Mais, comme nous venons de la voir, c’est précisément ce point qui est contesté par les protestants. Pour eux, au contraire, puisqu’aucune institution visible ne peut prétendre être elle-même l’Eglise du Christ, l’adhésion à une doctrine ne peut résulter que d’une conviction individuelle. Aucune autorité extérieure, pas même un concile universel, ne peut définir ce qu’est la foi. C’est d’ailleurs ce point qui fut le vrai déclencheur de la Réforme, comme nous le verrons dans un prochain article.
Conclusion
En dépit de sa formulation un peu « choc », le texte d’Ignace exprime donc parfaitement la doctrine de l’Eglise catholique romaine et celle-ci est extrêmement cohérente. Puisque l’Eglise est une réalité mystique mais aussi institutionnelle, alors il est normal que le croyant fasse confiance à cette institution pour définir la foi. En cela, il ne fait qu’obéir à l’apôtre Paul (1 Timothée 3 : 15).
Un protestant ne contestera pas ce raisonnement, mais plutôt la prémisse de base qui est d’affirmer que l’Eglise du Christ peut être assimilée à une institution visible qui devient le critère de foi. En l’occurrence, ici, l’Eglise romaine. C’est le refus de cette identification, et l’affirmation du sacerdoce universel (tous les chrétiens sont prêtres), qui fondent le principe fondamental du protestantisme : la doctrine du libre-examen, c’est-à-dire la croyance selon laquelle chaque chrétien ne peut-être convaincu que par sa propre conscience et non une institution extérieure.
Note
(1) Ignace de Loyola, Exercices spirituels, § 353 et 365.
Bibliographie
Ignace de Loyola, Exercices spirituels (trad. fr : Jean-Claude Guy), Paris, Seuil, 1982.
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