On associe souvent la croyance en Dieu à un acte de foi excluant la raison. Cela est dû en partie à une mauvaise définition de ce qu’est la foi et la raison. Si le sens commun définit la foi comme une démarche irrationnelle, alors assurément le chrétien n’a pas foi en l’existence de Dieu. En contraste, la définition biblique de la foi ne l’oppose pas à la raison. Bien au contraire, croire en Dieu implique une synthèse des deux.
L’existence de Dieu, une affaire de la raison et de la foi
Aristarque : J’en suis convaincu par la foi ; mais je vous avoue que je n’en suis pas pleinement convaincu par la raison.
Théodore : Si vous dites les choses comme vous les pensez, vous n’en êtes peut-être convaincu ni par la raison, ni par la foi. Car ne voyez-vous pas que la certitude de la foi vient de l’autorité d’un Dieu qui parle et qui ne peut jamais tromper. Si donc vous n’êtes pas convaincu par la raison, qu’il y a un Dieu, comment serez-vous convaincu qu’il a parlé ?(1)
A travers ce dialogue, le philosophe et théologien Nicolas Malebranche (1638-1715) nous montre que l’usage de la raison est indispensable dans la foi chrétienne. L’existence de Dieu n’est pas une production irrationnelle de l’esprit. Elle est une conséquence logique et y croire ne défie en rien la raison.
« En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables » Romains 1 : 20
Au cours de l’histoire, cette question a été l’objet de nombreuses réflexions philosophiques qui ont produit plusieurs arguments visant à démontrer l’existence de Dieu. L’objectif de cet article n’est pas d’exposer l’ensemble de ces arguments; je me contenterai de présenter l’un des plus célèbres : l’argument cosmologique. D’Aristote à Leibniz en passant par saint Thomas d’Aquin, cet argument a connu plusieurs variantes, mais là encore, nous n’en développerons qu’une.
L’argument cosmologique
Aristote est l’un des premiers à proposer cet argument dans le douzième livre de sa Métaphysique. Pour lui il existe une cause première, qu’il appelle la cause efficiente, qui mit en mouvement toutes les choses dans l’univers. Jean Philopon, aussi connue comme Jean d’Alexandrie, est le premier chrétien à utiliser l’argument d’Aristote à des fins apologétiques. Au XIIe siècle le philosophe Al-Ghazali apporta une contribution majeure (2) à ce qui deviendra l’une des formulations moderne de l’argument cosmologique que William Lane Craig appelle « The Kalam cosmological argument » (3). Cet argument développe un raisonnement logique montrant qu’il est raisonnable de croire que la cause qui créa l’univers est Dieu.
Jusqu’au XXe siècle, la science croyait que l’univers était éternel et que l’idée judéo-chrétienne d’un commencement était peu probable. En 1929, l’astronome Edwin Hubble publie un article dans lequel il montre, à partir d’observation, que plus une galaxie est loin, plus sa vitesse d’éloignement est grande. Ces observations ont validé ce que certains physiciens théoriciens avaient prédit à partir des équations en appliquant la nouvelle théorie de la relativité d’Einstein au cosmos. Ces travaux furent à l’origine d’une découverte fondamentale : Notre univers est en expansion.
Cette découverte donna plus de crédit au modèle cosmologique du physicien (et prêtre) Georges Lemaître, qui sera ironiquement appelé le « Big Bang » par un de ses détracteurs. L’une des prédictions de ce modèle est une implication directe des lois de la thermodynamique, desquelles on peut déduire que si l’univers est en expansion, alors il a été dans le passé très dense et chaud. Ce modèle sera confirmé quelques années plus tard par la découverte des traces provenant du rayonnement fossile du Big Bang, également appelé le fond diffus cosmologique.
L’hypothèse que notre univers a eu un commencement a également été renforcée par le théorème BGV (4) (pour Borde, Guth et Vilenkin, les trois co-auteurs du théorème). Ce théorème démontre que si l’espace-temps est en expansion moyenne, alors il est incomplet dans le passé. Cela implique nécessairement qu’il ne peut pas être éternel et que l’espace-temps a commencé à exister. Ce théorème est prouvé pour une métrique classique avec un espace-temps relativiste et il n’existe aucun modèle cosmologique sérieux à ce jour auquel il ne s’applique pas. Il se peut que le théorème ne s’applique pas à un espace quantique, l’avenir nous le dira (ou pas), mais aujourd’hui nous n’avons aucune preuve en ce sens.
Le rôle de la science n’est pas de fournir des certitudes, elle a d’ailleurs montré, qu’à une certaine échelle, l’incertitude est un principe fondamental du réel. Cependant, elle nous permet de guider notre raison vers ce qui est le plus probable. Or, comme le souligne le physicien Vilenkin :
« Il n’y a aucune théorie à ce jour qui puisse fournir d’une manière satisfaisante un modèle de notre univers sans un commencement »
A partir des données de la science, nous pouvons donc conclure qu’il est plus raisonnable de croire que notre univers a commencé à exister, que de croire qu’il est éternel. Dés lors, l’argument cosmologique part de cette prémisse et se développe ainsi :
- Tout ce qui commence à exister a une cause
- L’univers a commencé à exister
Cela implique donc que
- L’univers a une cause
A partir de cette conclusion, la seconde étape de l’argument consiste à analyser les propriétés ontologiques de cette cause.
- La totalité de la matière et de l’énergie étant contenue dans l’univers, cette cause doit être immatérielle
- Etant en dehors de l’espace-temps, cette cause doit être éternelle
- Pour avoir créée l’univers, cette cause doit être extrêmement puissante
De par les propriétés ontologiques de cette cause et de l’application du principe de parcimonie, aussi appelé le rasoir d’Ockham, l’hypothèse d’un Dieu créateur est la plus raisonnable. En effet, les seules candidats à postuler sont Dieu et les objets abstraits (qui n’existent certainement pas, mais que j’inclus par neutralité et pour faire plaisir à Platon).
Une attitude raisonnable ne consiste pas à avoir un comportement guidé exclusivement par des certitudes, car la certitude est rarement, voir jamais, accessible a priori. La foi est donc nécessaire, non pas pour se substituer à la raison, mais pour compléter la marge d’incertitude qui nous est imposé par le réel. Comme nous y invitent les Ecritures, l’argument cosmologique démontre raisonnablement que l’univers a un créateur, une cause première et que celle-ci est Dieu.
La confiance en Dieu, une affaire de la foi et de la raison
Si la foi n’est pas le pont ultime qui nous mène à l’existence de Dieu, à quoi sert-elle ? Et bien la foi est ce que nous utilisons pour décrire la confiance que nous avons en Dieu. Vous n’avez pas foi en l’existence de votre mère, de votre père ou de vos amis. Vous concluez rationnellement à leurs existences grâce à l’expérience et au raisonnement logique. Pour autant, le fait que leur existence soit rationnellement établie n’implique pas nécessairement que vous ayez confiance en eux.
Avoir confiance en quelqu’un, c’est accepter de ne pas tout maîtriser, de s’en remettre à lui, à ses promesses, à sa fidélité et pour faire cela, il faut de la foi. La foi c’est donc faire confiance, mais faire confiance implique l’incertitude du résultat. En somme, une démarche de foi revient à créditer la parole de l’autre.
La foi que nous mettons en Dieu n’exclut pas pour autant la raison. En effet, plus nous grandissons avec Dieu, plus nous avons des données «empiriques» sur les résultats passées de la confiance que nous avons placé en Dieu. Grandir dans la foi procède ainsi d’un raisonnement logique par induction qui consiste à déduire que Dieu, ayant été fidèle hier, le sera encore aujourd’hui et demain.
Conclusion
Croire en l’existence de Dieu est pleinement logique et raisonnable. Aucun comportement rationnel ne se fonde sur des certitudes absolues. Ainsi nous exerçons tous les jours une forme de foi, c’est-à-dire que nous plaçons notre confiance dans certaines croyances que nous considérons comme raisonnables. L’expérience est le vrai juge de nos croyance et, comme a pu le dire l’apôtre Pierre, ce qui fut pour nous une croyance rationnelle est maintenant une connaissance expérimentale « qu’Il est le Christ, le fils du Dieu vivant » Jean 6 : 69.
La Bible ne place jamais la foi comme un substitut à la raison. Il est à noter par ailleurs que dans les missions données au Saint-Esprit, convaincre de raison les hommes de l’existence de Dieu n’est pas dans son programme.
« Et quand il sera venu, il convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice, et le jugement » Jean 16 : 8-11
L’existence de Dieu est une croyance rationnelle et la foi grandissante que nous plaçons en Lui n’en est pas moins raisonnable. Dans une perspective biblique, il ne s’agit donc pas de choisir entre la foi ou la raison, mais bel et bien d’articuler la foi et la raison.
Références bibliographiques
(1) Conversations chrétiennes, Entretien 1, folio essaie, p17
(2) « Toute chose qui commence à exister a une cause à son commencement. Le monde est une chose qui a commencé à exister. Alors, le monde a une cause à son commencement »
Al-Ghazali, Kitab al-Iqtisad fi’l-I’tiqad, cité dans S. de Beaurecueil, “Gazzali et S. Thomas d’Aquin : Essai sur la preuve de l’existence de Dieu proposée dans l’Iqtisad et sa comparaison avec les ‘voies’ Thomiste,” Bulletin de l’Institut Francais d’Archaeologie Orientale 46(1947):203.
(3) William Lane Craig, The Kalam Cosmological Argument, Wipf and Stock Publishers.
(4) Arvind Borde, Alan H. Guth and Alexander Vilenkin, Inflationary spacetimes are not past-complete, 2003.