Je continue ma série d’introduction aux Pères de l’Eglise avec l’Apologie d’Aristide d’Athènes. Je précise, pour éviter toute confusion, que cet article est une présentation historique de l’œuvre d’un auteur, qui ne reflète pas nécessairement mes idées sur les sujets abordés. Je partage mes propres opinions sur ces questions dans d’autres articles.
L’Apologie d’Aristide
L’Apologie d’Aristide d’Athènes est la plus ancienne apologie actuellement conservée, puisqu’elle date probablement des années 124-125. Elle était connue depuis longtemps, grâce notamment à Eusèbe de Césarée qui la mentionne dans son Histoire Ecclésiastique, mais le texte n’a été redécouvert qu’à la fin du 19e siècle. D’abord dans des traductions orientales avec des fragments arméniens puis un texte complet en syriaque, et enfin en grec, qui était sa langue d’écriture.
Aristide est un philosophe originaire d’Athènes qui écrit à l’empereur Hadrien. Toutefois, cette apologie n’est pas une requête, mais une présentation de la religion chrétienne. L’auteur commence en évoquant sa conversion, puis présente le plan de son ouvrage (1-2). Il s’intéresse successivement à la religion des barbares (3-7), des Grecs (8-11), des Egyptiens (12-13) et des juifs (14). Enfin, il termine en revenant aux chrétiens pour exposer leur mode de vie et réfuter les calomnies qui circulaient à leur sujet.
Extraits
Pour terminer, je vous propose quatre extraits. Le premier présente la conversion d’Aristide et sa conception de Dieu, le deuxième les fondements de la foi chrétienne, le troisième insiste sur les livres chrétiens et enfin le quatrième évoque le judaïsme.
Conversion d’Aristide et conception de Dieu
« Moi, ô Roi, par la grâce de Dieu, je suis venu en ce monde. Ayant contemplé le ciel, la terre et les mers, vu le soleil et le reste de la création, je me suis émerveillé de l’ordonnance du monde. Je perçus alors que ce monde et tout ce qu’il contient est mû par l’impulsion d’un autre ; et je compris que celui qui les meut, c’est Dieu, qui est caché en eux et leur est tenu secret. Or il est évident que celui qui meut est plus fort que celui qui est mû. Et que m’informer à propos de celui qui est le moteur du tout, et sur son mode d’existence — car il me paraît certain qu’il est incompréhensible en sa nature – et refuser la véracité de son économie ainsi que la comprendre en totalité, cela ne me sert à rien. Personne en effet ne peut comprendre cela complètement.
Je dis donc du Moteur du monde qu’il est le Dieu de tout, qui fit tout pour l’homme ; et il me paraît certain qu’il est nécessaire que chacun craigne Dieu, et qu’en conséquence il ne fasse souffrir aucun homme. Je dis donc que Dieu est inengendré, incréé, d’une nature constante sans commencement ni fin, immortel, parfait et insaisissable ; or si j’ai dit qu’il est parfait, c’est qu’il n’est en lui aucune déficience et qu’il n’a besoin de rien, tandis que l’univers a besoin de lui ; et si j’ai dit qu’il est sans commencement, c’est que tout ce qui a un commencement a aussi une fin ; et ce qui a une fin est destructible. Il n’a pas de nom, car ce qui porte un nom appartient au créé. Il est sans figure et dépourvu de membres en effet, celui qui en possède compte parmi les œuvres façonnées. Il n’est ni mâle ni femelle ; les cieux ne le contiennent pas, mais il contient en lui les cieux et tout ce qui est visible et invisible. Il n’est rien qui aille contre lui, car il n’est personne qui soit plus fort que lui. Il n’a ni emportement ni colère, car il n’y a rien qui puisse tenir contre lui. Ni erreur ni oubli en sa nature, car il est tout entier sagesse et intelligence ; en lui tient tout ce qui tient. Il ne demande ni sacrifice ni libation, ni aucune de ces choses visibles. Il ne demande rien à personne, mais tous les êtres lui adressent leurs demandes. » (1)
La foi chrétienne
« Quant aux chrétiens, ils imputent le début de leur religion à Jésus-Christ. C’est lui que l’on nomme Fils du Dieu Très-Haut. On dit que Dieu descendit du ciel, et que, d’une vierge des Hébreux, il prit et revêtit la chair ; que le Fils de Dieu demeura dans une fille d’homme, c’est ce qui est enseigné dans l’Évangile énoncé chez eux il y a quelque temps pour être prêché – et dont vous même saisiriez le sens, si vous le lisiez. Or donc, ce Jésus naquit de la tribu des Hébreux. Puis il eut douze disciples, en sorte que s’accomplisse quelque sienne économie. C’est lui qui fut transpercé par les Judéens, mourut et fut enseveli et l’on dit qu’après trois jours il ressuscita et monta aux cieux. Puis ces douze disciples se rendirent dans les parties connues du monde, pour y enseigner sa grandeur toute d’humilité et d’honnêteté. » (2)
On retrouve dans cet énoncé, les fondements de la doctrine chrétienne. On peut aussi noter qu’Aristide parle de « lire », ce qui implique que cet enseignement était bien transmis dans des livres clairement identifiables.
Les livres des chrétiens
Cette insistance sur les Ecritures revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans l’Apologie, ainsi en conclusion Aristide termine en disant :
« Or leurs paroles et leurs commandements, ô Roi, le prestige de leur culte et leur attente du salaire dont ils seront rétribués, chacun selon son œuvre propre, dans l’autre monde, tu peux les connaître par leurs livres. Car il nous suffit d’avoir informé brièvement ta Majesté des habitudes et de la vérité des chrétiens. En effet, leur enseignement est vraiment grand et étonnant pour qui veut l’examiner et le comprendre. Et c est vraiment un nouveau peuple, dans lequel se mêle quelque chose de divin.
Prenez donc leurs livres, lisez-les, et voici : vous trouverez que ce que j’ai exprimé ne vient pas de moi-même. Et que je ne l’ai pas exposé en tant qu’avocat. Mais j ai affirmé ce que j’ai lu dans leurs livres, même ce qui est à venir. C’est ce qui m’a contraint à manifester la vérité à qui la désirent et qui cherchent le monde à venir. » (3)
Le judaïsme
Enfin, on peut noter que dans son évaluation du judaïsme, Aristide est beaucoup moins polémique que d’autres apologètes, puisqu’il n’hésite pas à souligner les aspects positifs de cette religion, sans pour autant en cacher les limites.
« Venons-en donc aussi, ô roi, à la question des juifs, et voyons qu’elle est leur conception de Dieu.
Donc les juifs disent qu’il n y a qu’un seul Dieu créateur de tout et tout-puissant, et qu’il ne convient pas d’adorer quoi que ce soit d’autre que ce seul Dieu. Et on voit en cela qu’ils sont plus proches de la vérité que tous les peuples, puisqu’ils préfèrent adorer Dieu plutôt que ses œuvres. Et ils imitent Dieu, au moyen de cette philanthropie qui est la leur, pratiquant la miséricorde envers les pauvres, rachetant les captifs, ensevelissant les morts, et accomplissant d’autres œuvres du même genre, agréées de Dieu et belles aussi pour les hommes, qu’ils ont reçues de leurs pères d’autrefois.
Or donc, ils se sont eux aussi écartés de la connaissance exacte, pensant en conscience rendre un culte à Dieu. Car dans leur genre de pratiques, c’est aux anges et non à Dieu qu’ils rendent culte, observant les sabbats et les néoménies, les azymes et le grand jeûne, le jeûne, la circoncision et la pureté des aliments – toutes choses que d’ailleurs ils n’observent pas parfaitement. » (4)
Notes
(1) Aristide d’Athènes, Apologie, 1, 1-2.
(2) Aristide d’Athènes, Apologie, 2, 4.
(3) Aristide d’Athènes, Apologie, 16, 3-4.
(4) Aristide d’Athènes, Apologie, 14, 1-4.
Bibliographie
Aristide d’Athènes, Apologie (trad. fr. B. Pouderon, M.-J. Pierre, B. Outtier & M. Guiorgadzé), Paris, Le Cerf, 2003.
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