Hier soir j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence sur l’Arabie au temps de Muhammad. Il y avait deux intervenants et un modérateur, M. Amir-Moezzi, dont j’ai déjà eu l’occasion de présenter un livre : Le Coran silencieux et le Coran parlant.
Les données archéologiques et épigraphiques
Le premier intervenant, Christian Robin, est un spécialiste de l’Arabie préislamique. Il travaille particulièrement sur les sources épigraphiques et archéologiques. La question était de savoir dans quelle mesure ces sources confirmaient ou infirmaient les données de la tradition musulmane classique.
L’épigraphie préislamique
Il faut tout d’abord souligner que ces inscriptions sont extrêmement nombreuses, plusieurs centaines de milliers, peut-être plusieurs millions, sur l’ensemble de la péninsule arabique. Elles sont dans des langues très variées, certaines proches de l’arabe, voire même en arabe, d’autres au contraires dans des langues éloignées, voire complètement isolées, c’est le cas notamment des inscriptions sudarabiques.
Lorsque l’on prend en compte toutes ces inscriptions, ainsi que les vestiges archéologiques (statues, monuments, etc.), on constate plusieurs divergences avec la tradition musulmane officielle.
Le monothéisme en Arabie préislamique
Le premier point de divergence est la situation religieuse avant l’arrivée de l’islam. Contrairement à ce qu’affirme la tradition musulmane, l’Arabie préislamique était loin d’être totalement polythéiste. Bien au contraire, les inscriptions montrent que les élites arabes, celles qui peuvent écrire, étaient déjà monothéistes et que les sanctuaires païens connus étaient d’ailleurs tombés en désaffection au cours du 4e siècle. J’avais déjà abordé ce sujet dans mon article sur le royaume d’Himyar.
La Mecque
Un deuxième point est la centralité de La Mecque. Pour la tradition musulmane, cette ville était le centre de l’Arabie vers lequel convergeaient toutes les tribus. Or, les inscriptions nous font connaître de nombreuses villes, mais La Mecque n’est jamais mentionnée.
Les calendriers d’Arabie
Ce constat est d’ailleurs confirmé par un autre élément, le calendrier. Pour la tradition musulmane, les Arabes se servaient du calendrier mecquois, or les inscriptions montrent que ce n’est pas le cas. D’autres calendriers étaient beaucoup plus populaires.
Tradition musulmane et épigraphie
Cette intervention visait donc à montrer l’utilité de confronter les textes littéraires aux autres sources, notamment archéologiques. Cela peut paraître évident à l’historien, mais il faut bien reconnaître que dans certains domaines, cela est encore assez peu pris en compte.
Le Coran dans ses contextes tardoantiques
La deuxième intervention était due à Guillaume Dye qui nous proposait cette fois une approche littéraire. Il s’agissait d’étudier le Coran dans ses contextes tardoantiques, le pluriel étant important.
Historiographie des études coraniques
Guillaume Dye a tout d’abord commencé par un point historiographique pour retracer l’évolution des études coraniques académiques.
Celles-ci ont véritablement commencé au 19e siècle avec Théodor Nöldeke (1836-1930). Celui-ci cependant se contentait de ce que l’on pouvait appeler le « paradigme sunnite sécularisé ». Pour dire les choses simplement, il effectuait ses études en prenant comme postulat de base la véracité de la tradition sunnite officielle, qu’il avait simplement sécularisée. Concrètement, cela veut dire qu’il considérait que le Coran reflétait bien la prédication de Muhammad à différentes étapes de sa vie. Cette interprétation a dominé jusqu’au milieu du 20e siècle.
Un tournant majeur
Un livre a constitué un tournant important : Hagarism de Patricia Crone et Michael Cook. Ce livre est important non pas tant pour ses résultats, qui peuvent être débattus, que pour ses méthodes. Les auteurs soulignent notamment le fait que les sources musulmanes qui parlent du Coran sont extrêmement tardives et que l’historien doit plutôt privilégier les sources contemporaines, même si elles sont non-musulmanes.
Un nouveau paradigme
Cela a conduit à la révision du postulat base sur l’identité de l’auteur du Coran. Aujourd’hui, on ne considère plus forcément qu’il y a un auteur unique, en l’occurrence Muhammad. Au contraire, les travaux d’exégèse tendent plutôt à montrer une pluralité d’auteurs.
C’est bien sûr un sujet complexe, et quelque peu sensible, je n’insiste donc pas sur cela ici, mais j’aurai l’occasion de présenter ces travaux dans d’autres articles.
Enfin, Guillaume Dye a insisté sur l’importance des sources syriaques pour comprendre le Coran. C’est un point qui attire déjà mon attention depuis plusieurs années et les exemples proposés hier soir par le conférencier ont confirmé cette conviction. Je partagerai certainement cela dans de prochains articles.
Conclusion
Je comptais prochainement commencer une série pour présenter les recherches contemporaines menées dans le domaine des études bibliques, mais après cette conférence, je me suis dit qu’il serait aussi intéressant de présenter en parallèle, les travaux universitaires sur le Coran.
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