Le conflit israélo-palestinien et la fin des temps

Après avoir fait un petit détour par la christologie, je vous propose de revenir à notre réflexion sur la fin des temps en abordant un sujet sensible : la question d’Israël.

Pour un certain nombre de chrétiens, l’eschatologie (« la doctrine de la fin des temps ») n’a aucun intérêt et ne représente que des spéculations inutiles. Dans mon article d’introduction, j’avais au contraire insisté sur les conséquences concrètes que pouvait avoir notre conception de la fin des temps, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle individuelle, et le conflit israélo-palestinien en est une parfaite illustration. J’aimerais donc dans cet article vous proposer quelques réflexions sur ce sujet.

Après un bref rappel du contexte, je reviendrai sur le positionnement des chrétiens en évoquant notamment les amalgames qui peuvent être faits. Puis, j’aborderai la question du « sionisme chrétien », ainsi que celle du « fatalisme », qui sont à mon sens deux erreurs théologiques (j’insiste sur le fait que je ne parle pas de politique). Enfin je terminerai avec quelques propositions plus personnelles concernant la situation actuelle en Israël et en Palestine.

Les chrétiens et le conflit israélo-palestinien

Contexte historique

Le conflit israélo-palestinien a débuté dans les années 1920. Il s’est ensuite intensifié après la création de l’Etat d’Israël (1948). Plusieurs guerres ont eu lieu entre Israël et les pays arabes voisins (1948, 1967, 1973), toutes gagnées par Israël. Depuis la guerre du Kippour (1973), il n’y a plus de guerre conventionnelle, mais des affrontements mettant en prise une armée régulière et des groupes combattants. Tout récemment, c’est l’assassinat de trois jeunes israéliens, puis l’acte de vengeance perpétré contre un jeune palestinien qui ont ravivé les tensions. Israël mène des attaques contre la bande de Gaza, tandis que le Hamas tire des roquettes en direction d’Israël. De nombreuses manifestations pro-palestiniennes ont par ailleurs été organisées un peu partout dans le monde, notamment en Europe.

Les chrétiens et le conflit israélo-palestinien

La position des chrétiens sur ce conflit varie énormément d’une confession à l’autre. Dans la plupart des cas, il n’y a aucune prise de position officielle, chaque chrétien peut donc avoir sa propre opinion. Toutefois, à grands traits, on peut résumer la chose de la manière suivante : les chrétiens de confession catholique, orthodoxe, luthérienne ou réformée sont souvent plus proches des palestiniens, tandis que les évangéliques sont réputés plutôt pro-israéliens. Ce classement mérite néanmoins des nuances importantes.

Par ailleurs, il faut cependant signaler la prise de position officielle de l’Eglise copte. Le patriarche précédent, Chenouda III, avait officiellement pris position dans un sens farouchement antisioniste, puisqu’il avait même interdit aux Coptes de se rendre en pèlerinage à Jérusalem tant que celle-ci ne serait pas « libérée ».

Les évangéliques et Israël

Généralement, les protestants évangéliques sont plutôt pro-israéliens et certains, il faut bien le reconnaître, sont même carrément « fanatiques », plus « sionistes que les sionistes ». D’autres sont, heureusement, beaucoup plus modérés. Mais cette prise de position n’est pas une évidence, ni même une composante de l’évangélisme originel, bien au contraire.

En réalité, cette attitude s’explique en grande partie par l’adhésion au « sionisme chrétien » découlant d’une doctrine eschatologique apparue au XIXe siècle.

Les évangéliques et la CIA

Toutefois, avant d’aborder ce sujet, j’aimerai dissiper un malentendu. Contrairement à ce que véhiculent certaines personnes les évangéliques ne sont pas tous « sionistes », ni même pro-américains. Ces propos, particulièrement absurdes, sont notamment tenus par Alain Soral.

Voir dans chaque évangélique un agent de la CIA pourrait être tout à fait comique, si, malheureusement, ces propos n’étaient pas pris au sérieux par certains et ne contribuaient pas à accroitre les persécutions contre les chrétiens évangéliques, en particuliers ceux vivant au Maghreb. Nous voyons d’ailleurs dans cette vidéo qu’Alain Soral justifie et encourage explicitement ces persécutions.

Alain Soral a en effet un défaut principal, celui de tout voir sous l’angle politique et plus particulièrement sous le prisme du conflit israélo-palestinien. Il est certain que la religion a des conséquences politiques (et je suis le premier à le souligner). Cependant, dès lors que l’on parle de religion, de foi et de croyances, on ne peut pas non plus exclure la dimension spirituelle et se contenter d’analyses politiques. Tout le monde ne pense pas constamment au conflit israélo-palestinien ou même à la politique. Les personnes qui font le choix de se convertir au christianisme, le font avant tout suite à un cheminement spirituel personnel, loin de tout calcul politique.

Par ailleurs, tous les évangéliques ne soutiennent pas nécessairement les Etats-Unis ou Israël. Comme je l’ai déjà mentionné, cette position est liée à une théologie particulière que je vais maintenant expliquer.

Le dispensationalisme et le sionisme chrétien

Avant de commencer, il est important de clarifier un point. Dans cette partie, il n’est pas question de politique mais de théologie. Je ne critique pas le fait d’être « sioniste » et « chrétien », mais le « sionisme chrétien », c’est à-dire le fait de soutenir le sionisme pour des motifs théologiques. Je peux tout à fait comprendre qu’un chrétien puisse soutenir Israël pour des raisons politiques, de même que je peux aussi comprendre le choix inverse, mais ce n’est pas là mon sujet (j’y reviendrai brièvement à la fin de l’article). Je ne traiterai que du « sionisme chrétien » en tant qu’opinion théologique, issue d’une doctrine particulière.

Cette doctrine a été inventée au XIXe (même si on peut trouver des antécédents à l’époque moderne) par John Nelson Darby et est connue sous le nom de dispensationalisme. Sans rentrer dans les détails retenons juste une idée clef pour notre sujet. Selon cette croyance, pour que Jésus revienne, il faut que les juifs rentrent en Palestine, fondent un Etat et reconstruisent le Temple, ce qui implique donc accessoirement la destruction du Dôme du Rocher et de la mosquée Al-Aqsa construits sur l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam sunnite.

Dôme du rocher

Photo du Dôme du Rocher (Jérusalem) construit sur le mont du Temple. La reconstruction du « Troisième Temple » impliquerait sa destruction. 

Cette idée a eu un grand succès dans le mouvement évangélique américain car un certain Scofield l’a ajoutée en note de bas de page sur sa Bible, qui est ensuite devenue la Bible la plus diffusée aux Etats-Unis. Toutefois, en dépit de ce succès historique, évangélisme et dispensationalisme ne peuvent pas être confondus. Le mouvement évangélique, qui a pris naissance au XVIe siècle, a bien vécu trois siècles sans cette doctrine. Par ailleurs, il existe encore aujourd’hui d’autres doctrines alternatives, et notamment celle que je vous propose dans ma série (le prétérisme).

Quelques points à retenir

Toute cette question montre encore l’importance d’interpréter correctement la Bible et d’avoir une réflexion théologique globale. De mon côté, je pense que cela fait ressortir deux défauts évangéliques.

Le premier est une théorie simpliste de l’interprétation des Ecritures, où l’on se contente d’une lecture superficielle de la Bible. Ainsi parce qu’on lit « Israël » dans la Bible et qu’il existe effectivement aujourd’hui un Etat moderne nommé « Israël », on assimile, abusivement à mon sens, les deux. Cette remarque est valable dans de nombreux domaines et montre l’urgence d’une réflexion approfondie sur la question (d’où ma série sur l’inspiration et l’interprétation de la Bible).

Le deuxième problème est ce que j’appelle « le fatalisme ». J’ai consacré un article à cette question, je ne rentrerai donc pas dans les détails dans ce post. Simplement, en une phrase, je dirai que le fatalisme est de prendre la Bible pour un livre de voyance et de croire que tout est prévu d’avance et que nous n’avons plus rien à faire. Que ce qui doit arriver arrivera et qu’en tant que chrétiens, nous n’avons plus qu’à attendre. Cette attitude est bien illustrée par le post facebook qui suit. Une personne qui proposait de prier « pour qu’il y ait le moins de morts possibles » reçue la réponse suivante :

Moins de victimes possibles ?  Elles seront innombrables si je lis bien ma bible.  

Il me semble que c’est là une incompréhension totale du but même des prophéties, incompréhension qui a de très graves conséquences car elle pousse à l’inaction.

Le conflit israélo-palestinien  : quelques réflexions complémentaires

Pour finir, j’aimerai terminer avec quelques réflexions plus politiques sur ce conflit.

Conflits et mobilisation

Toutes les victimes humaines sont dramatiques et toute violence doit être condamnée. Néanmoins il y a quand même une disproportion très importante de mobilisation d’un conflit à l’autre. Ainsi, au moment même où j’écris cet article, il y a sur la planète de nombreux conflits qui font plusieurs dizaines et centaines de milliers de morts et dont les médias ne parlent jamais. Pourquoi ?

Antisémitisme et antisionisme

Je ne fais pas l’amalgame entre « antisémitisme » et « antisionisme ». L’antisionisme peut être motivé par de nombreuses raisons, politiques et religieuses, et il existe notamment des juifs orthodoxes antisionistes (mais aussi des juifs laïcs antisionistes). Toutefois, il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui l’antisionisme devient aussi un moyen plus « politiquement correct » d’afficher son antisémitisme.

Un appel à la modération

En tant que chrétiens nous devons surtout veiller à rechercher une position équilibrée et juste, après avoir pris le temps d’écouter chaque parti. Ce qui est particulièrement difficile pour ce genre de sujets où les discussions dégénèrent très rapidement.

Je ne suis pas un grand amateur des médias, et je ne regarde quasiment jamais la télévision. Toutefois, j’ai pu constater une chose « assez amusante » (lorsque l’on prend un peu de recul) : les pro-israéliens accusent les médias d’être pro-palestiniens et de cacher la vérité, tandis que les pro-palestiniens accusent ces mêmes médias d’être pro-israéliens et de cacher la vérité. Que penser de cela ? Il est évident que chaque camp manque d’objectivité.

Par ailleurs, il y a une véritable guerre médiatique avec la diffusion d’images chocs. Ces images sont très rapidement relayées sur les réseaux sociaux sans la moindre vérification. Evitons de participer à cette surenchère émotionnelle qui bien souvent ne fait qu’accroître la haine et le ressentiment et empêche toute réflexion rationnelle (cette remarque vaut aussi pour de nombreux autres évènements).

Conclusion

A titre personnel, je pense que le conflit israélo-palestinien ne pourra être réglé que par la création d’un Etat fédéral bi-national. Toutefois, je ne m’étendrai pas sur cette idée, car ce n’est pas le but principal de l’article. En conclusion, j’aimerai plutôt insister sur trois points :

a) L’importance de l’eschatologie sur notre vie personnelle et sur la politique mondiale.

b) L’importance de mener une réflexion approfondie sur la question de l’inspiration et l’interprétation de la Bible.

c) L’importance de l’équilibre. Ne nous laissons pas entrainer par nos émotions, mais cherchons avant tout la vérité. Ecoutons chaque camp avant de prendre position. Evitons les positions extrêmes et les jugements hâtifs.

Et pour terminer, souvenons-nous des paroles de Jésus (Matthieu 5 :9)  « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! » 

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.