Dans l’article précédent, nous avons vu que le péché avait atteint son apogée lorsque les anges s’unirent aux filles des hommes pour enfanter « les héros qui furent fameux dans l’antiquité ». Pour répondre à un tel dérèglement, Dieu doit employer une solution radicale :
« Alors Dieu dit à Noé: La fin de toute chair est arrêtée par devers moi; car ils ont rempli la terre de violence; voici, je vais les détruire avec la terre. Fais-toi une arche de bois de gopher; tu disposeras cette arche en cellules, et tu l’enduiras de poix en dedans et en dehors. » Genèse 6 : 13-14
Local ou universel
Avant de continuer plus en avant, posons-nous une petite question : ce déluge est-il local ou universel ? Une lecture simple et rapide peut nous amener à penser qu’il est universel. Mais, une étude un peu plus approfondie me conduit plutôt à la conclusion contraire. Concernant ce passage, Rachi (1) pose une question intéressante et apporte une réponse qui me paraît pertinente.
« Dieu dispose pourtant de beaucoup de moyens de mettre à l’abri et de sauver. Pourquoi alors avoir imposé à Noé la dure besogne de construire une arche ? C’est pour que ses contemporains le voient occupé à cette construction pendant 120 ans et lui demandent « Que fais-tu là ? ». Et pour qu’il leur réponde « Le Saint béni soit-il va envoyer un déluge sur le monde ! ». Peut-être feront-ils pénitence ! »
Cette réflexion nous montre que Rachi avait très bien compris la pensée de Dieu, et ce propos s’accorde parfaitement avec l’histoire de Jonas et les déclarations d’Ezéchiel.
« Si le méchant revient de tous les péchés qu’il a commis, s’il observe toutes mes lois et pratique la droiture et la justice, il vivra, il ne mourra pas. Toutes les transgressions qu’il a commises seront oubliées ; il vivra, à cause de la justice qu’il a pratiquée. Ce que je désire, est-ce que le méchant meure ? dit le Seigneur, l’Eternel. N’est-ce pas qu’il change de conduite et qu’il vive ? […] Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité, et meurt pour cela, il meurt à cause de l’iniquité qu’il a commise. Si le méchant revient de sa méchanceté et pratique la droiture et la justice, il fera vivre son âme. S’il ouvre les yeux et se détourne de toutes les transgressions qu’il a commises, il vivra, il ne mourra pas. […] Rejetez loin de vous toutes les transgressions par lesquelles vous avez péché ; faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, maison d’Israël ? Car je ne désire pas la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur, l’Eternel. Convertissez-vous donc, et vivez. » Ezéchiel 18 : 21-32
Le but de Dieu n’est pas de punir les hommes par simple vengeance, mais de les pousser à se détourner de leurs fautes. Pour cela, Il envoie toujours des avertissements avant d’exécuter Ses jugements.
La suite logique est donc de penser que si le déluge n’a frappé que des personnes qui ont pu être averties de la construction de cette arche, il faut en déduire que celui-ci n’a certainement pas touché toute la Terre, mais s’est plutôt concentré sur la région du Moyen Orient.
De plus, dans la Bible, le terme de « Terre entière » ne désigne pas nécessairement la Terre entière comme nous l’entendons aujourd’hui. Souvent, cette expression désigne plutôt le monde connu par les rédacteurs bibliques ou même parfois une zone bien délimitée. Ainsi, Luc nous dit : « En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la Terre. » (Luc 2 : 1). Or, il est évident qu’Auguste n’a jamais recensé les Papous de Nouvelle-Guinée, ni les tribus d’Amazonie. Dans ce verset, l’expression « toute la Terre » ne désigne donc au maximum que l’Empire romain.
Les lois Noahides
Le déluge constitue aussi une étape importante dans l’histoire humaine, car il marque le début d’une nouvelle ère. En effet, après le déluge, Dieu a contracté une alliance avec Noé.
« Alors Dieu parla à Noé, en disant: Sors de l’arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi. Fais sortir avec toi tous les animaux de toute chair qui sont avec toi, tant les oiseaux que le bétail et tous les reptiles qui rampent sur la terre : qu’ils se répandent sur la terre, qu’ils soient féconds et multiplient sur la terre. Et Noé sortit, avec ses fils, sa femme, et les femmes de ses fils. Tous les animaux, tous les reptiles, tous les oiseaux, tout ce qui se meut sur la terre, selon leurs espèces, sortirent de l’arche. Noé bâtit un autel à l’Eternel ; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l’autel. L’Eternel sentit une odeur agréable, et l’Eternel dit en son cœur : Je ne maudirai plus la terre, à cause de l’homme, parce que les pensées du cœur de l’homme sont mauvaises dès sa jeunesse ; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point ». Genèse 8 : 15-22
La tradition rabbinique liste sept lois, dites « lois noahides », que Dieu a établies pour l’ensemble de l’humanité :
1) Obligation d’établir des tribunaux
2) Interdiction de blasphémer
3) Interdiction de l’idolâtrie
4) Interdiction des unions illicites
5) Interdiction de l’assassinat
6) Interdiction du vol
7) Interdiction de manger de la chaire arrachée à un animal vivant
Ces lois sont valables pour tous les hommes et constituent le socle commun nécessaire à une vie en société. Il est utile de les garder à l’esprit lorsque nous réfléchissons aux sources de la morale et au rôle de l’Etat. Je traiterai ces questions de manière plus approfondie dans d’autres articles.
La tour de Babel
La question de la localité et de l’universalité se pose aussi par rapport à un autre récit, celui de la Tour de Babel. Cette histoire nous est racontée au chapitre 11. Des humains veulent construire une grande tour pour défier Dieu. Pour les punir, Dieu détruit la tour et les empêche de reprendre la construction en divisant les langues.
« Et l’Eternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. […] C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Eternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Eternel les dispersa sur la face de toute la terre. » (Genèse 11:9).
Or au début du chapitre 11 (verset 1), il est précisé : « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. ». En lisant, rapidement ces versets on pourrait croire qu’avant la tour de Babel tous les peuples de la Terre parlaient une seule et même langue et que la diversité des langues provient de la Tour de Babel. Pourtant, au chapitre précédent, nous lisons la chose suivante :
« Voici la postérité des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet. Il leur naquit des fils après le déluge. […] C’est par eux qu’ont été peuplées les îles des nations selon leurs terres, selon la langue de chacun, selon leurs familles, selon leurs nations. […] Ce sont là les fils de Cham, selon leurs familles, selon leurs langues, selon leurs pays, selon leurs nations. […] Ce sont là les fils de Sem, selon leurs familles, selon leurs langues, selon leurs pays, selon leurs nations. Telles sont les familles des fils de Noé, selon leurs générations, selon leurs nations. Et c’est d’eux que sont sorties les nations qui se sont répandues sur la terre après le déluge. » (Genèse 10 : 1-32)
Le chapitre 10 nous montre très clairement que dès le déluge il existait une diversité de langues. L’expression : « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots » ne peut donc pas désigner l’ensemble de la planète Terre. Elle se réfère plutôt à une région bien précise, probablement une partie de la Mésopotamie.
Conclusion
Après, une période de grande décadence, Dieu a du corriger durement l’humanité en envoyant un déluge. Après ce déluge, Dieu reprend l’éducation de l’homme en lui fixant des règles qui lui permettront de vivre sainement et de grandir.
Ce déluge offre à l’humanité l’opportunité d’un nouveau départ. Toutefois, celle-ci ne profite pas de la chance qui lui est accordée et dévie très vite du droit chemin.
Note
- Rachi de Troyes (env. 1040-1105), grand rabbin français connu pour ses commentaires bibliques qui sont aujourd’hui inclus dans les éditions imprimées du Talmud.