Dans un article publié au début du mois de septembre et relayé tout récemment par Regardsprotestants, le pasteur Gilles Castelnau commente une étude du Pew Research Center qui prédit le déclin proportionnel du christianisme dans les années à venir.
Après avoir exposé quelques chiffres qu’il analyse, Gilles Castelnau propose son propre « remède » :
« En pensant à cette évolution future, il est sans doute raisonnable que nous prenions conscience des éléments de notre religion qui sont rejetés par nos concitoyens et que nous pouvons abandonner dans la mesure où ils ne font pas partie de l’essentiel de la foi chrétienne et que par contre nous approfondissions notre compréhension des trois éléments fondamentaux que nous venons de mentionner afin de les affirmer clairement afin de sauvegarder notre identité profonde. »
Toutes les choses « non-essentielles » ont été énumérées dans l’article, il s’agit en fait des dogmes chrétiens et des règles morales.
Libéralisme = succès ?
L’idée défendue par Gilles Castelnau est la suivante : les gens se détournent du christianisme car celui-ci est trop conservateur, il faut donc libéraliser le christianisme pour que les gens restent ou (re)deviennent chrétiens. Dans un langage marchand, parfois utilisé par les sociologues, nous pourrions dire que Gilles Castelnau propose d’adapter l’offre aux exigences (supposées) de la demande, afin de faciliter la vente.
Cette idée, qui peut paraître logique à première vue, est pourtant contredite par toutes les études sociologiques qui ont pu être menées et qui montrent que les mouvements religieux conservateurs sont plus dynamiques que les mouvements religieux libéraux. C’est ce que j’aimerais présenter dans cet article.
Avant de commencer, il est bien important de préciser un point : il ne s’agit pas d’être pour ou contre le libéralisme (ou le « conservatisme »). Peu importe notre opinion sur le sujet, les études menées par les sociologues montrent que, quelque soit le terrain d’étude (catholicisme, protestantismes, mormonisme, islam, etc.), les groupes conservateurs se portent beaucoup mieux que les mouvements libéraux. Comment expliquer cela ? Quatre raisons principales peuvent être dégagées.
Le succès des groupes conservateurs
- Une transmission interne beaucoup plus efficace. C’est un constat que l’on retrouve dans toutes les enquêtes. Lorsque l’on compare la religion des parents et celles des enfants, on s’aperçoit que celle-ci est beaucoup mieux transmise au sein des groupes conservateurs. Au contraire le « taux de perte » est plus important dans les groupes libéraux.
- Un témoignage extérieur plus important. Deuxième facteur de dynamisme : les conversions. Des personnes peuvent toujours être attirées par des groupes libéraux et les rejoindre. Toutefois, ces groupes, conformément à leur position relativiste, ne font en général que peu d’efforts spécifiques, voire même aucun, pour attirer de nouveaux fidèles. A l’inverse, les groupes conservateurs, souvent convaincus d’être les seuls à détenir la Vérité, déploient beaucoup d’énergie pour convaincre les personnes extérieures de la justesse de leur position.
- Une alternative possible. Si les groupes libéraux adoptent les positions dominantes dans la société, quel intérêt y-a-t-il de les rejoindre ? Au contraire, en se positionnant à contrecourant, les groupes conservateurs peuvent être perçus comme des alternatives par les personnes insatisfaites des tendances générales de la société.
- Un idéal à atteindre. Cette insatisfaction peut d’ailleurs être comblée par les objectifs proposés par les groupes conservateurs et considérés comme plus dur à atteindre. On peut illustrer cela avec un exemple pris par Gilles Castelnau. Il est vrai que Jean-Paul II a développé une théologie de la sexualité très conservatrice en insistant sur des normes qui contrastent fortement avec l’ambiance générale de nos sociétés occidentales. Pourtant, loin d’être un handicap, ces exigences sont aujourd’hui perçues par beaucoup de catholiques comme un idéal à atteindre. Ainsi, même s’ils ne respectent pas toujours ces exigences, ils sont satisfaits de leur existence.
Une dernière remarque
Avant de conclure, revenons sur un dernier propos de Gilles Castelnau : « La diminution spectaculaire du nombre de prêtres, alors que les facultés de théologie protestante sont pleines, suggère deux choses, etc. »
Cette phrase, assez anecdotique, est en même temps très révélatrice de la méthodologie qui sous-tend l’article. Cette déclaration a une visée argumentative, mais est contredite par toutes les données factuelles, ce qui rend l’argument sans force.
Des facultés de théologie protestante « pleines » ? En Allemagne, l’Eglise protestante connaît les mêmes difficultés que l’Eglise catholique française (2), en Suisse, une faculté de théologie protestante vient de fermer (3), et les exemples pourraient être multipliés. Les grandes Eglises protestantes d’Europe occidentale connaissent la même crise de vocations que leurs consoeurs catholiques, alors mêmes qu’elles autorisent les pasteurs mariés, les femmes pasteurs et même, pour certaines, les pasteurs homosexuel(le)s. Contrairement à ce qu’affirme Gilles Castelnau, il ne suffit donc pas de libéraliser les règles institutionnelles pour résoudre la crise des vocations.
Conclusion
Au delà de l’enquête servant de base à l’article, il est bien évident que la réflexion de Gilles Castelnau était avant tout une prise de position idéologique (sans connotation péjorative, c’est-à-dire défendant une idée) en faveur du christianisme libéral.
Lui-même pasteur engagé dans ce christianisme libéral (sans dogmes et avec des règles morales assouplies), il souhaitait démontrer que le problème de la déchristianisation de l’Europe pourrait se résoudre par une libéralisation du christianisme.
Toutefois, son argumentation n’est pas convaincante car, sans entrer dans le débat sur le libéralisme en lui-même, il faut objectivement constater que toutes les études universitaires sur cette question contredisent la thèse de Gilles Castelnau. Un mouvement religieux libéral, bien loin d’attirer ou de retenir les fidèles, a beaucoup plus de difficultés à survivre qu’un groupe religieux conservateur, même si un certain équilibre doit bien sûr être trouvé.
Implicitement d’ailleurs, les données mentionnées par Gilles Castelnau confirment ce propos. En France, par exemple, le seul groupe chrétien à connaître une progression dans ses effectifs est le protestantisme évangélique, un courant réputé justement pour son conservatisme (dogmatique et moral). De plus, au sein du catholicisme, ce sont les communautés les plus conservatrices qui ordonnent le plus de prêtres (4).
Notes
(1) Pour le protestantisme, voir par exemple Jean-Paul Willaime, La Précarité protestante, Genève, Labor et Fides, 1992.
(2) Source
(3) Source
(4) Source
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