Le témoignage public de l’Eglise selon Karl Barth

Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de faire une série d’articles sur la fin du monde. Elle est actuellement en pause, mais je la reprendrai à l’occasion. Un des points sur lequel j’ai voulu insister était l’importance de notre eschatologie, c’est-à-dire de la manière dont nous concevons la fin des temps, pour notre foi.

Notre eschatologie a sur nos vies des conséquences bien plus importantes que certaines doctrines traditionnellement considérées comme fondamentales. Concernant la Trinité, par exemple, je connais des chrétiens qui adhèrent à la doctrine majoritaire, et d’autres, qui sont modalistes. Or, dans leur vie de tous les jours, cette différence doctrinale n’a tout simplement aucun impact.

En revanche, notre eschatologie influence directement notre conception du monde, de l’histoire et donc notre comportement. En effet, de notre eschatologie dépend directement le rôle que nous assignons à l’Eglise et c’est pour cette raison que je proposerai prochainement une réflexion sur l’éthique chrétienne et le rôle de l’Eglise au sein de la société.

En attendant, comme une sorte d’introduction, je vous propose quelques extraits de l’Esquisse d’une dogmatique de Karl Barth. Ce livre est le compte-rendu de cours donnés juste après la Seconde Guerre mondiale.

Le texte de Karl Barth est en violet, mes commentaires sont en noir.

La foi, une affaire privée ?

« Une foi qui resterait une affaire privée, qui ne se manifesterait pas au dehors, ne serait plus qu’une incrédulité cachée, une fausse foi, une superstition. Car la foi qui a pour objet Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne peut pas ne pas se manifester publiquement. » (1)

Ce point est central, et il me paraît d’autant plus d’actualité pour nous qui vivons en France au 21e siècle, dans une République laïque. Je commencerai prochainement une série sur la laïcité car ce concept est souvent mal compris. Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, la laïcité n’a pas pour vocation à confiner les religions au domaine privé, mais au contraire, elle a été établie pour permettre à chaque opinion de s’exprimer librement.

Un témoignage audible

« Ce n’est pas d’hier qu’on a tenté de présenter le problème des rapports entre l’Eglise et le monde comme un problème de bon voisinage, chacun restant prudemment sur des positions soigneusement préparées, en dépit des quelques escarmouches qui peuvent se produire aux avant-postes. L’Eglise ne saurait considérer ce « gentlemen’s agreement » comme définitif. De son point de vue, une seule chose entre en ligne de compte: que son témoignage puisse retentir également au sein de la société qui l’entoure, non pas, cette fois-ci, dans le patois de, Canaan, mais dans le langage très sobre et très peu ecclésiastique que le monde a l’habitude de parler.

Il s’agit pour l’Eglise, de traduire son message, dans le style des journaux, par exemple. Il s’agit de redire, d’une manière profane, ce que nous disons avec les mots et le langage de l’Eglise. Le chrétien ne devra donc par craindre d’utiliser un parler très peu « édifiant ». S’il s’en trouve incapable, qu’il se demande si ce qu’il dit dans l’Eglise est toujours édifiant! Nous connaissons bien ce jargon pastoral et clérical qui, aux gens de l’extérieur, fait l’effet du chinois! Prenons garde de ne pas nous replier sur nous-mêmes et ne redoutons pas de parler clair au monde.

Un exemple: en 1933, nombreux furent ceux qui, en Allemagne, surent confesser et vivre leur foi d’une manière profonde et authentique, et nous en bénissons Dieu; malheureusement, ces témoignages ont été, en quelque sorte, bloqués par le langage qui servait à les formuler. On n’a pas su traduire, alors, en décisions politiques ce qui était excellemment exprimé dans la langue de l’Eglise; sinon, l’Eglise évangélique de ce pays aurait clairement vu qu’elle devait dire non au national-socialisme, et cela dès le commencement. Et c’est ainsi qu’il n’y a pas eu alors, sous cette forme toute profane, de véritable Confession de la foi. Imaginons ce qui serait arrivé si l’Eglise avait su formuler en termes politiques ses convictions spirituelles! Elle n’en a pas été capable, et les conséquences sont sous nos yeux.

Un second exemple: aujourd’hui également, il y a des manifestations de foi chrétienne sérieuse authentique. Je suis persuadé que les événements actuels ont éveillé chez beaucoup la faim et la soif de la Parole de Dieu, que l’Eglise est en train de vivre un moment important. Mais il ne faudrait pas qu’elle se borne à se redresser, à se consolider elle-même, et que les chrétiens restent une fois de plus entre eux.

Certes, il est indispensable aujourd’hui de faire de la théologie avec une très grande consécration. Mais puissions-nous voir et comprendre mieux que naguère la nécessité de traduire en décisions et en prises de positions politiques ce qui se passe au sein de l’Eglise! Une Eglise évangélique qui prétendrait aujourd’hui rester muette sur la question de la culpabilité que soulèvent les événements que nous venons de vivre, ou qui, plus simplement, croirait pouvoir la négliger alors qu’elle exige une réponse en raison même de l’avenir, se condamnerait, dès l’abord à la stérilité. De même une Eglise qui ne comprendrait pas clairement sa vocation à l’égard des peuples en détresse, et dont l’enseignement et la prédication ne correspondraient pas aux problèmes soulevés par la situation actuelle, une Eglise qui ne mettrait pas tout en œuvre pour répondre à l’urgence de cette tâche écrasante, célèbrerait son propre enterrement. Puisse chaque chrétien, individuellement, voir clairement ce que sa foi implique : tant qu’elle n’est qu’une sorte d’aimable tour d’ivoire qui le dispense de penser à autrui, tant qu’elle lui offre une sorte d’alibi facile et fait de lui un être double, elle n’est pas authentique. D’ailleurs, on ne peut guère vivre dans une tour d’ivoire ! L’homme est un tout et ne peut exister vraiment que comme un tout. » (2)

L’histoire de l’Eglise a commencé avec le miracle de la Pentecôte, qui a rendu l’enseignement des apôtres audible dans toutes les langues. C’est un signe prophétique important. Les chrétiens devraient constamment avoir le souci de communiquer l’Evangile dans un langage qui puisse être compris par leurs contemporains.

Un témoignage visible

« Il est impossible que les paroles et les actes du croyant restent des paroles neutres, des actes qui n’engagent pas. Dès que la foi existe, il faut nécessairement que la gloire de Dieu (doxa, gloria) éclate sur la Terre. » (3)

Notes

(1) Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, p.39.

(2) Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, p.44-47.

(3) Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, p.40.

Bibliographie

Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, (trad. fr. : Fernand Ryser et Edouard Mauris), Paris-Genève, Le Cerf-Labor et Fides, 1984.

Version vidéo

Articles liés

Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) : pasteur et résistant 

Il est possible de me contacter pour réagir à l’article.

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.