En 1924, Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) effectue un séjour à Rome. Il gardera de cette expérience une très bonne impression de l’Eglise catholique romaine et sera depuis un fervent partisan de l’unité des chrétiens.
Je vous propose de découvrir à ce sujet une de ses réflexions, que je commenterai ensuite brièvement.
Propos de Dietrich Bonhoeffer sur l’Eglise romaine
« On n’exagérera jamais les mérites de l’Église catholique au cours de son histoire, en ce qui concerne la civilisation européenne et le monde entier. Elle a christianisé et civilisé des peuples barbares et a été longtemps l’unique gardienne de la science et de l’art. Ses monastères sont au premier rang. Elle a développé une puissance spirituelle sans égale et nous admirons aujourd’hui encore sa manière d’unir le fondement de la catholicité et de la seule Église qui sauve, la tolérance et l’intolérance. Elle est un monde en soi. Des diversités à l’infini ont convergé en elle et ce tableau bigarré lui confère un attrait irrésistible (complexio oppositorum). Il n’y a guère de pays qui ait pu produire des hommes aussi divers que l’Église catholique ne l’a fait. Elle sait avec une admirable force maintenir son unité dans la diversité, elle sait gagner l’amour et le respect des masses et susciter un sentiment de communauté très fort.
Mais c’est de toute cette grandeur que naissent pour nous de forts doutes. Ce monde est-il vraiment resté l’Église de Jésus-Christ? N’est-elle pas une barricade en travers de la route, plutôt que le poteau indicateur sur le chemin qui mène à Dieu? N’a-t-elle pas obstrué elle-même le chemin qui conduit au salut? Mais nul ne peut obstruer le chemin pour Dieu. Elle a encore la Bible et tant qu’elle l’a, nous devons croire qu’en elle se trouve aussi la sainte Église du Christ. La Parole de Dieu ne retourne pas à lui sans effet (Es. 55, 11), qu’elle soit prêchée chez nous ou dans l’Église sœur. Nous prononçons la même confession de foi, nous prions le même Notre Père, nous avons beaucoup de coutumes communes. Cela nous lie et pour ce qui nous concerne, nous voulons bien vivre en paix à côté de cette sœur différente; mais nous ne voulons nous laisser dépouiller de rien de ce que nous avons reconnu comme la Parole de Dieu. Peu importe les noms de catholique ou de protestant; c’est la Parole de Dieu qui importe.
D’autre part, nous ne voulons pas violenter la foi d’autrui, Dieu ne veut aucun service contraint et il a donné à chacun sa conscience. Mais nous pouvons et devons prier pour que notre sœur rentre en elle-même et ne regarde à rien d’autre qu’à cette Parole (I Cor. 2:2). Jusque-là nous aurons à user de patience; et nous devons supporter que la « seule Église qui sauve » prononce l’anathème contre notre Église par fausse présomption. Elle ne sait pas encore faire mieux, elle ne veut pas haïr l’hérétique, mais l’hérésie. Tant que nous ferons de la Parole notre seul refuge, nous pourrons regarder l’avenir avec confiance. » (1)
Commentaire personnel
Dietrich Bonhoeffer et l’Eglise confessante
Ce texte est à bien des égards admirable. Avant de le commenter, il faut toutefois préciser un point important. Dietrich Bonhoeffer a été un des théologiens majeurs de ce que l’on a appelé « l’Eglise confessante ». Cependant, il est important de signaler, par souci d’honnêteté, que le terme de « confessant » n’a ici pas le même sens que celui que je lui donne dans mon récent article sur les trois types de christianisme.
Néanmoins, cet extrait est un merveilleux exemple de christianisme confessant, au sens où j’entends ce terme.
Un exemple de christianisme confessant
Dietrich Bonhoeffer, théologien luthérien, souligne avec justesse et honnêteté les points positifs de l’Eglise romaine. Son rôle fondamental dans la construction de la civilisation occidentale et dans la transmission de la culture à l’échelle mondiale.
De plus, il insiste sur le fait, qu’en dépit des divergences doctrinales, cette Eglise a toujours conservé les points essentiels de l’Evangile. C’est pour cette raison qu’il n’hésite pas à parler d’« Eglise sœur ».
En même temps, il est bien conscient des difficultés qui existent et du fait que ces sentiments ne sont pas (encore) réciproques. En effet, il écrit à une époque où la hiérarchie romaine était très hostile aux autres confessions chrétiennes.
Ses propos sont sereins, car il prend la Parole de Dieu comme « seul refuge » et on ne peut que constater la dimension prophétique de ce discours, puisqu’effectivement, quelques décennies plus tard, l’Eglise romaine commencera à se rallier à cette vision.
La seule chose que l’on peut regretter c’est que Dietrich Bonhoeffer soit mort trop tôt, avant d’avoir vu la réalisation de ses espérances, mais cela n’a-t-il pas été le sort de beaucoup de prophètes ? (Hébreux 11)
Note
(1) Eberhard Bethge, Dietrich Bonhoeffer. Vie, pensée, témoignage. Genève, Labor et Fides, 1969, p.59.
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