Justin est né à Flavia Néapolis, l’antique Sichem et l’actuelle Naplouse, vers 110. Il est d’origine samaritaine, mais a très tôt été en quête de vérité. Il a donc pour cela voyagé afin de découvrir les différentes philosophies de son temps, le stoïcisme, le pythagorisme, l’aristotélisme, avant de s’engager au sein du platonisme qui l’a finalement conduit au christianisme.
Il séjourne plusieurs fois à Rome dans les années 140 et 150. Il est dénoncé comme chrétien, probablement par un collègue philosophe jaloux, et meurt en martyr vers 165.
Auparavant, il avait eu le temps d’écrire un certain nombre d’ouvrages dont plusieurs nous sont parvenus.
Dans ce premier article, je vous présenterai les Apologies adressées à l’empereur et au Sénat, tandis que dans un second article, je vous parlerai du Dialogue avec Tryphon.
La Grande Apologie
L’Apologie principale, appelée Grande Apologie, est adressée à Antonin le Pieux, à son fils, au Sénat et au peuple romain. Le but de cet ouvrage est tout simplement de demander à l’empereur de faire cesser les persécutions contre les chrétiens. En effet, comme nous l’avons vu dans un article précédent, depuis l’époque de Trajan, le simple nom de « chrétien » pouvait conduire à la mort, et Justin ne manque pas de le rappeler.
Or, Justin estime qu’une telle attitude est injuste, car les chrétiens ne font rien de mal. Bien au contraire, leur comportement est même profitable à la société. Pour appuyer ces propos, Justin va présenter les doctrines fondamentales du christianisme mais aussi les pratiques afin de réfuter les fausses accusations des païens.
Le traité, après une brève introduction (1-3), peut être divisé en trois grandes parties :
- Réfutations des accusations contre les chrétiens (4-12)
- Exposé de la doctrine chrétienne (13-60)
- Présentation des rites essentiels (61-68)
Requête au Sénat
Il existe à côté de cette Grande Apologie, une autre apologie plus petite, qui a d’ailleurs été parfois considérée comme une partie intégrante de la première. De manière plus condensée, Justin reprend dans cette seconde apologie, les éléments développés dans la première.
La théologie de Justin
Ce traité est extrêmement intéressant car il permet de connaître la foi et la pratique des chrétiens, en particulier ceux de Rome, au milieu du 2e siècle, donc à une époque assez proche des apôtres.
Justin présente les doctrines fondamentales du christianisme : la création du monde par un Dieu bon, il s’oppose explicitement à Marcion, l’incarnation, la crucifixion et la résurrection de Jésus. Il affirme aussi clairement la divinité du Christ, même si celui-ci est inférieur au Père. C’est une théologie subordinatianiste, largement répandue parmi les Pères anténicéens. Du point de vue de l’eschatologie, il croit aux peines éternelles et à un millénium terrestre littéral à venir, même s’il reconnaît que sur ce dernier sujet tous les chrétiens ne sont pas d’accord.
Extraits
Pour terminer, je vous propose quelques extraits de cette apologie.
Confession de foi de Justin
« Nous vous montrerons aussi que nous adorons justement celui qui nous a enseigné ces choses, et qui a été engendré pour cela, Jésus-Christ, qui fut crucifié sous Ponce Pilate, gouverneur de Judée, au temps de Tibère César, en qui nous voyons le fils du vrai Dieu et que nous mettons au second rang et, en troisième lieu, l’Esprit prophétique. » (1)
Le Verbe peut parler par les philosophes
« Il faut dire la vérité. Les génies du mal, apparaissant autrefois sur la Terre, violèrent les femmes, corrompirent les enfants, inspirèrent l’épouvante aux hommes. Effrayés, ceux-ci ne surent pas apprécier ces faits selon la raison, mais saisis de crainte, et ne reconnaissant pas la malice des démons, ils les appelèrent dieux et donnèrent à chacun d’eux le nom qu’il s’était choisi. Socrate jugeant ces choses à la lumière de la raison et d la vérité, essaya d’éclairer les hommes et de les détourner du culte des démons ; mais les démons, par l’organe des méchants, le firent condamner comme athée et impie, sous prétexte qu’il introduisait des divinités nouvelles. Ils en usent de même envers nous. Car ce n’est pas seulement chez les Grecs et par la bouche de Socrate que le Logos a fait entendre ainsi la vérité ; mais les barbares aussi ont été éclairés par le même Verbe, revêtu d’une forme sensible, devenu homme et appelé Jésus-Christ. » (2)
On trouve ici une idée importante, sur laquelle il revient à plusieurs reprises. Pour Justin, le Logos s’est manifesté aux hommes avant la venue de Jésus. A travers les prophètes hébreux pour Israël, mais aussi à travers certains philosophes, comme Socrate, pour les nations païennes. Cette idée se retrouve aussi chez d’autres auteurs chrétiens, comme Clément d’Alexandrie.
Être chrétien, c’est vivre en chrétien
« Ceux qui ne vivent pas selon ses préceptes qu’ils ne soient pas tenus pour chrétiens, quand même ils proclameraient de bouche la doctrine du Christ ; car il a promis le salut non à ceux qui disent, mais à ceux qui font. » (3)
Des chrétiens avant le Christ
« Peut-être essayera-t-on, par un faux raisonnement, de ruiner la valeur de notre doctrine. Nous disons que le Christ est né il y a cent cinquante ans sous Quirinius et qu’ensuite il a enseigné sous Ponce Pilate la doctrine que nous lui prêtons. On objectera alors que les hommes qui ont vécu avant lui ne sont pas coupables. Nous nous hâtons de répondre à cette difficulté. Le Christ est le premier-né de Dieu, son Verbe, auquel tous les hommes participent : voilà ce que nous avons appris et ce que nous avons déclaré. Ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, eussent-ils passé pour athées, comme chez les Grecs, Socrate, Héraclite et leurs semblables, et chez les barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Elie et tant d’autres dont il serait trop long de citer ici les actions et les noms. Et aussi, ceux qui ont vécu contrairement au Verbe ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers des disciples du Verbe. Au contraire, ceux qui ont vécu ou qui vivent selon le Verbe sont chrétiens, sans crainte ni peur. » (4)
Notes
(1) Justin de Naplouse, Grande Apologie, 13.
(2) Justin de Naplouse, Grande Apologie, 5.
(3) Justin de Naplouse, Grande Apologie, 16.
(4) Justin de Naplouse, Grande Apologie, 46.
Bibliographie
Justin martyr, Œuvres Complètes, Paris, Migne, 1994.
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