Echecs du mariage ou alternative

Pour terminer cette série sur le mariage, je vous propose d’aborder ce que l’on peut appeler « les échecs » du mariage. J’évoquerai d’abord le divorce, puis la nullité du mariage. Enfin, je terminerai avec la question du célibat, qui, s’il est volontaire, n’est pas un échec mais une alternative au mariage.

Le divorce

L’Ancien Testament

La loi sur le divorce nous est donnée en Deutéronome 24 :

« Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendrait à ne pas trouver grâce à ses yeux, parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrira pour elle une lettre de divorce, et, après la lui avoir remise en main, il la renverra de sa maison. Elle sortira de chez lui, s’en ira, et pourra devenir la femme d’un autre homme. »

Plusieurs points peuvent être relevés :

-le divorce est à l’initiative de l’homme

-il se fait pour « quelque chose de honteux »

-la femme peut se remarier

Qu’est-ce que cette chose honteuse ? La formulation est assez floue et ce terme peut laisser place à une large interprétation. Cependant, nous pouvons d’emblée exclure une interprétation : l’adultère. Certains chrétiens, pour diminuer le contraste entre cette législation et le Nouveau Testament, estiment que le « motif honteux » ne peut être que l’adultère, mais deux raisons s’opposent à cela :

1) Premièrement, si Moise pensait à l’adultère, il l’aurait clairement nommé. Pourquoi ne pas appeler un chat un chat et dire : « si la femme trompe son mari, celui-ci pourra divorcer ». Pourquoi utiliser une formule vague, si c’est pour désigner un acte précis ?

2) Deuxièmement, dans la loi mosaïque l’adultère est puni de mort : « Si un homme commet un adultère avec une femme mariée, s’il commet un adultère avec la femme de son prochain, l’homme et la femme adultères seront punis de mort. » (Lévitique 20:10). Observons bien les temps de la phrase : ce n’est pas une hypothèse, c’est un ordre. Une femme adultère est nécessairement mise à mort. Du coup, la question du divorce ne se pose plus vraiment. De plus, la femme divorcée peut se remarier, ce qui ne serait pas acceptable en cas d’adultère.

Le Nouveau Testament

Lors de sa venue sur Terre, Jésus change radicalement les choses ou, plus exactement, revient à l’état initial.

 « Il a été dit: Que celui qui répudie sa femme lui donne une lettre de divorce. Mais moi (NDLR : c’est Jésus qui parle), je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf pour cause d’infidélité (porneia), l’expose à devenir adultère (moichao), et que celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère (moichao) »

Le premier changement notoire est que le remariage est considéré comme un adultère. Ce changement vient directement du principe d’indissolubilité.

« Les pharisiens abordèrent Jésus et dirent, pour l’éprouver: Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour un motif quelconque ? Jésus répondit: N’avez-vous pas lu que le créateur, au commencement, fit l’homme et la femme  et qu’il dit: C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint. Pourquoi donc, lui dirent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme une lettre de divorce et de la répudier? Il leur répondit: C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; au commencement, il n’en était pas ainsi. Mais je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf pour infidélité, et qui en épouse une autre, commet un adultère. » Matthieu 19 : 3-9.

L’homme ne peut pas donc pas de sa propre initiative « briser le lien ». Même en divorçant aux yeux des humains, le couple reste marié aux yeux de Dieu. Coucher avec un autre partenaire, revient donc à commettre un adultère.

Le deuxième changement est la réduction des possibilités. Le divorce n’est possible qu’en cas de « porneia. » Avant d’aller plus loin, faisons un petit détour linguistique.

Porneia/moichao

Dans nos traductions modernes, le terme de « porneia » dans ces passages est souvent rendu par « adultère » ou « infidélité ». Pourtant ce n’est pas son sens premier. Le terme qui signifie « adultère » est « moichao », et Matthieu (ou plus exactement son traducteur) l’utilise d’ailleurs dans le même verset ! Pourquoi donc utiliser deux termes différents pour parler de la même action ? En réalité, il faut plutôt comprendre que le terme de « porneia » désigne autre chose que l’adultère. Même s’il est possible, et même probable, que l’adultère soit une des formes de « porneia »

Echec 2

Doit-on divorcer d’une femme adultère ?

Mais revenons au sens le plus couramment admis. La plupart des interprètes déduisent de ce verset que l’on peut divorcer en cas d’adultère. Reconnaissons que Jésus tolère ce cas, mais est-ce vraiment la volonté de Dieu ?

Dans l’article précédent, nous avons vu que le mariage représentait l’union de Christ et l’Eglise. Par ailleurs, nous sommes nous-mêmes appelés à être l’image de Dieu. Une fois ces deux éléments pris en considération, reposons nous la question : Christ divorce-t-il de son Eglise à chaque fois que celle-ci lui est infidèle ?

Malheureusement, nous sommes forcés de reconnaître qu’au cours de l’histoire, et encore actuellement, l’Eglise est bien trop souvent infidèle et se prostitue régulièrement. Mais heureusement pour nous, dans sa grâce, Christ ne divorce pas pour autant. Si Dieu supporte donc patiemment cette épouse infidèle, ne devons-nous pas faire de même ?

Cas concrets

Pour terminer sur cette question du divorce, venons-en aux cas concrets. Que faire face au divorce ? Un divorcé est-il condamné à rester continent tout le reste de sa vie ?

Historiquement cette question a été traitée de manière très différente par les deux grandes Eglises : si l’Eglise latine s’est toujours montrée inflexible, l’Eglise grecque a elle, au contraire, admis le divorce et le remariage, invoquant « la faiblesse humaine ». Que penser de tout cela ?

A mon sens, le pragmatisme impose de chercher un équilibre entre ces deux extrêmes. Les paroles du Seigneur sont très claires, on ne peut donc pas faire du « divorce/remariage » une possibilité officielle. Néanmoins, dans les faits, il peut effectivement arriver que des couples chrétiens terminent très mal et finissent par divorcer. Ces chrétiens peuvent même se remarier. Que doit-on faire dans ce cas-là ? Je pense qu’il n’y a pas de règles fixes et que chaque cas doit être traité pour lui-même. Dans l’idéal, il est vrai que, pour éviter de tomber dans l’adultère, ces personnes devraient s’abstenir de tous rapports. Néanmoins, si cela est trop dur, il faut, me semble-t-il, savoir faire preuve de souplesse.

La nullité du mariage

J’en viens maintenant à un deuxième cas : la nullité de mariage, qui est quelque chose que l’on ne connaît plus vraiment sauf peut-être dans les milieux catholiques.

Histoire et abus

A partir de la fin de l’Antiquité tardive, l’Eglise impose progressivement son pouvoir. En Occident, la chute de l’empire romain (476) et l’instabilité politique liée à l’émergence des nouveaux royaumes barbares facilitent la reprise en main de la société par l’Eglise. La législation civile s’est progressivement conformée aux règles de l’Eglise et le divorce a été supprimé.

Le divorce n’existant plus, la nullité de mariage a été utilisée comme un substitut pour rompre les unions que l’on ne désirait plus, ce qui a bien sûr engendré des abus de toutes sortes, y compris (surtout ?) dans les plus hautes sphères du pouvoir.

Définition

Aujourd’hui avec le retour du divorce, la nullité de mariage, qui existe toujours officiellement, n’est dans les faits quasiment plus utilisée, sauf dans les milieux catholiques. Pour autant, cette possibilité mérite quand même d’être abordée.

La nullité de mariage signifie que le  « mariage » contracté n’est pas valide et ne peut pas être reconnu comme tel, parce que celui-ci a enfreint une des conditions du mariage. Les conditions de mariage variant d’un pays à l’autre, les causes de nullité sont aussi différentes.

Les cas de nullité d’un point de vue de chrétien

Pour réfléchir sur les motifs de nullité, il faut revenir à la définition du mariage. Je propose de la résumer ainsi :

Le mariage est l’union entre un homme et une femme. Cette union résulte de la volonté libre des deux conjoints. Elle est scellée par Dieu et ne peut donc pas être annulée par un homme. Le mariage commence avec l’engagement mutuel de fidélité et aboutit naturellement à la consommation.

On peut donc considérer comme nul, tout mariage qui contredirait un de ces critères : mariage forcé, mariage basé sur une fausse identité, etc. Dans la Bible, nous avons par exemple le cas de Jacob qui a été trompé par Laban et a épousé à son insu Léa, alors qu’il croyait se marier avec Rachel. Dans ce cas, Jacob a cependant accepté le mariage en échange de la promesse de pouvoir aussi épouser Rachel.

Un cas particulier

Enfin un cas particulier doit être mentionné. Il ne s’agit pas exactement d’une nullité de mariage, mais on s’en rapproche, au moins dans les conséquences :

« A ceux qui sont mariés, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare point de son mari  si elle est séparée, qu’elle demeure sans se marier ou qu’elle se réconcilie avec son mari, et que le mari ne répudie point sa femme. Aux autres, ce n’est pas le Seigneur, c’est moi qui dis: Si un frère a une femme non-croyante, et qu’elle consente à habiter avec lui, qu’il ne la répudie point; et si une femme a un mari non-croyant, et qu’il consente à habiter avec elle, qu’elle ne répudie point son mari. Car le mari non-croyant est sanctifié par la femme, et la femme non-croyante est sanctifiée par le frère; autrement, vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints. Si le non-croyant se sépare, qu’il se sépare; le frère ou la soeur ne sont pas liés dans ces cas-là. Dieu nous a appelés à vivre en paix. Car que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari? Ou que sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme ? » 1 Corinthiens 7 : 10-16.

Dans ce passage, l’apôtre Paul traite d’un cas bien précis : celui des personnes mariées avant leur conversion. Si, après cette conversion, leur conjoint souhaite se séparer, alors ils peuvent se remarier avec un conjoint chrétien.

Le célibat, un échec ?

Si le célibat a longtemps été jugé supérieur au mariage, c’est aujourd’hui la position inverse qui domine dans le monde évangélique, puisque le célibat est au contraire déprécié. Ainsi, j’ai même entendu des chrétiens évangéliques affirmer que, pour un chrétien, être célibataire était un échec.

Il convient cependant d’adopter une position plus nuancée, car la Bible, sans dévaloriser le mariage, valorise aussi le célibat. Il n’est pas nécessaire de reprendre toute l’histoire du christianisme, mais en se limitant uniquement au monde évangélique contemporain, on peut trouver des célibataires qui ont beaucoup apporté à l’Eglise. C’est le cas par exemple du théologien John Stott (1921-2011).

Le célibat est parfois nécessaire dans certaines situations. Si l’Eglise catholique a eu tort de le généraliser et d’imposer le « célibat ecclésiastique », il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse en considérant qu’il ne peut jamais être utile. L’apôtre Paul lui-même nous fournit l’exemple contraire et à certains moments de l’Histoire ou à certains endroits, il est préférable d’être célibataire pour répondre à l’appel que Dieu a pour nous.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.