Comme annoncé dans l’article précédent, j’ai souhaité profiter des fêtes de fin d’année pour faire un temps de pause avec les réseaux sociaux. Ces quelques jours ont été pour moi l’occasion d’un bon ressourcement. Je comptais reprendre les articles en vous partageant les lectures effectuées durant cette pause, toutefois un événement inattendu a quelque peu modifié mes plans.
En effet, j’ai appris tout récemment la mort du R.P Placide Deseille survenue le 7 janvier 2018. Grand spécialiste de la spiritualité et du monachisme orthodoxe, je l’ai découvert il y a quelques années grâce à sa traduction française du Psautier de la Septante. J’étais alors moi-même en pleine évolution spirituelle et les réflexions qu’il partageait en introduction ont vraiment fait écho avec mon cheminement personnel.
Par la suite, ce recueil m’a accompagné plusieurs mois dans ma prière quotidienne, avant de devenir inutilisable car trop usé (les feuilles avaient fini par se détacher). J’en ai acheté un autre exemplaire que je conserve toujours dans ma bibliothèque. Je vous propose donc quelques extraits de cette introduction suivis d’un bref commentaire.
Extrait de l’introduction du Psautier
« La traduction grecque de la Bible, dite des Septante, a été entreprise, semble-t-il, sous le règne de Ptolémée Il Philadelphe (v. 309-246 av. J.-C.), pour répondre aux besoins liturgiques et apologétiques de la communauté juive hellénisée d’Alexandrie. Cette version n’est pas une simple traduction de l‘hébreu, dont elle ne différerait que dans la mesure où ses auteurs auraient commis des méprises et des contresens. Entre la Bible hébraïque et les Septante, il y a toute la marge d’une « relecture », au sens que les exégètes contemporains donnent à ce mot, c’est-à-dire d’une réinterprétation faite en fonction du progrès de la révélation dans la communauté d’Israël et des nécessités imposées par la présentation à un auditoire nouveau. Guidés par l’Esprit-Saint, les traducteurs ont sciemment modifié le, texte, y introduisant des corrections et des innovations… En effet, le passage de l’hébreu au grec était une entreprise capitale qui allait ouvrir au monde païen le trésor des Ecritures… Cette traduction est une des manifestations d’un mouvement plus vaste dans le judaïsme hellénistique, tendant à conquérir la pensée grecque à la sagesse de la révélation biblique… Il s’agissait de trouver dans un nouvel horizon de pensée des modes d’expression qui ne trahiraient pas l’ancien. Et forcément, ils le modifiaient, le transformaient, et finalement le faisaient progresser. (…)
La très grande majorité des citations et des allusions à l‘Ancien Testament que l’on trouve dans les écrits du Nouveau Testament suivent effectivement le texte des Septante. La Bible des Septante apparait vraiment comme la Bible de l’Eglise apostolique. Ceci a eu des conséquences très importantes en ce qui concerne le vocabulaire chrétien; un grand nombre de termes-clés de la tradition doctrinale, liturgique et spirituelle de l’Eglise ont leur origine dans la version des Septante, et particulièrement dans son Psautier. On s‘en rendra compte aisément en parcourant les notes de vocabulaire placées à la fin de ce volume.
Dans ces conditions, pour les Pères de l’Eglise, la Bible « authentique » ne pouvait être que la Bible grecque des Septante. La position qu’un historien récent de la pensée chrétienne nous décrit comme celle d’Origène est aussi celle de l’ensemble de l’Eglise de l’âge patristique : « Les chrétiens ont pour Bible celle qu’ils ont reçue de la tradition apostolique. Ils ne doivent pas « déplacer les bornes » de cet héritage. Les textes sacrés, sous la forme grecque qui a cours dans les Eglises, sont comme une monnaie qui a cours : il ne faut pas la « dévaluer ». Il ne faut pas (…) chercher à rendre la Bible grecque, celle des chrétiens, conforme à la Bible hébraïque des Juifs. »
Sur ce point fondamental, les positions de l’Orient grec et de l’Occident latin ont été identiques jusqu’à saint Jérôme. Celui-ci, qui fit tant, par ailleurs, pour donner à l’Occident chrétien l’amour et l‘intelligence des Ecritures, laissa prévaloir chez lui, semble-t-il, l’érudition contre le sens de la tradition. Malgré l‘opposition de saint Augustin, en cela ferme et lucide défenseur de cette tradition, il se fit avec succès le protagoniste de la «vérité hébraïque», allant jusqu’à soutenir, contre toute évidence, que les apôtres ne s’étaient servis des Septante que lorsqu’ils s’accordaient avec l’hébreu. Ses remarquables traductions faites sur le texte hébraïque allaient devenir la version authentique des Saintes Ecritures pour l’Eglise d’Occident, la « Vulgate ». Cependant, le Psautier, tellement fondamental pour la liturgie chrétienne, devait faire exception pour de longs siècles : jusqu’à la réforme liturgique entreprise par le Pape Pie XII, l’antique version latine des Psaumes, simplement revue par saint Jérôme sur la Septante, dont elle n’était guère qu’un décalque, allait rester en usage, assurant une vivante continuité avec la lecture chrétienne de l’Ecriture pratiquée à l’âge des Pères de l’Eglise. » (1)
Commentaire personnel
Venant à l’origine d’un milieu protestant fondamentaliste, j’avais justement un rapport très « fondamentaliste » au texte biblique. Pour moi, le christianisme était une vraie religion du Livre. C’est en étudiant les Pères de l’Eglise, et particulièrement Irénée de Lyon, que j’ai ensuite progressivement évolué et que j’ai fini par comprendre que le christianisme n’est pas une religion du Livre, car la Parole de Dieu est venue sur Terre sous forme d’un homme, Jésus de Nazareth, et non d’un Livre. J’évoque cela dans ma série sur l’inspiration et l’interprétation.
Dans ce cheminement, la découverte de la Septante, l’ancienne traduction grecque de la Bible, a joué un rôle décisif. C’est pour cela que j’avais d’ailleurs commencé mon premier blog avec plusieurs articles sur ce sujet. Depuis, je suis passé à d’autres thèmes, mais c’est une question qui me passionne toujours autant et je publierai certainement à nouveau des articles concernant la Septante.
Note
(1) Placide Deseille, Le Psautier des Septante, p. 5-10.
Bibliographie
Deseille, P. (1999). Le Psautier des Septante. Athènes : Tinos.