On pense souvent que les Israélites parlaient l'hébreu. Si cela était vrai avant l’exil à Babylone (6e siècle av. J-C.), la situation était bien différente à l'époque de Jésus.
Avant l’exil à Babylone, la langue du peuple était l'hébreu, mais les chefs comprenait aussi l'araméen, qui était la « langue internationale » du Proche-Orient à cette époque. Un passage biblique illustre cela :
« Éliakim, fils de Hilkija, Schebna et Joach, dirent à Rabschaké: Parle à tes serviteurs en araméen, car nous le comprenons; et ne nous parle pas en langue judaïque, aux oreilles du peuple qui est sur la muraille. » 2 Rois 18 : 26
Rabschaké est un général ennemi qui assiège Jérusalem. Les diplomates d'Ézéchias, roi de Juda, proposent alors de négocier avec lui en araméen pour éviter que le peuple, qui ne parle que l'hébreu, ne comprenne la discussion.
Toutefois, la Bible nous montre que la situation linguistique s'est complètement inversée à l'époque de Jésus. Le passage clef se trouve au premier chapitre des Actes des apôtres, au verset 19 :
« La chose a été si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce champ a été appelé dans leur langue Hakeldama, c’est-à-dire, champ du sang. »
Nous apprenons donc qu’Hakeldama veut dire « champ du sang » dans la langue des habitants de Jérusalem.
Pour savoir quelle langue les habitants de Jérusalem parlaient, il faut donc se demander quelle langue « champ du sang » se dit « Hakeldama ». Or, « champ du sang » se dit « Sedèh ha-dâm » en hébreu et « Hakeldama » en araméen. Nous pouvons donc en déduire qu’à cette époque, la langue des habitants de Jérusalem était bien l’araméen. Cela peut être confirmé par un autre passage tiré des évangiles :
« Il la saisit par la main, et lui dit: Talitha koumi, ce qui signifie: Jeune fille, lève-toi, je te le dis. » Marc 5:41
Marc rapporte donc la parole de Jésus comme elle a été prononcée, avant de la traduire en grec, pour ses lecteurs. Or Talitha koumi est de l’araméen.
Le peuple vivant en terre d’Israël parlait donc bien l’araméen à l’époque de Jésus, tandis que les Judéens qui vivaient en diaspora dans l’Empire romain parlaient grec.
Je terminerai en évoquant un problème de traduction. Dans Jean, il est plusieurs fois question d’« hébreu » :
« Or, à Jérusalem, près de la porte des brebis, il y a une piscine qui s'appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques. » Jean 5 :2
« Pilate, ayant entendu ces paroles, amena Jésus dehors; et il s'assit sur le tribunal, au lieu appelé le Pavé, et en hébreu Gabbatha. » Jean 19 : 13
« Jésus, portant sa croix, arriva au lieu du crâne, qui se nomme en hébreu Golgotha. » Jean 19 : 17
Dans tous ces versets, les traducteurs de la Bible ont choisi de traduire le terme grec hébraïsti par « hébreu ». Ce choix, qui peut paraitre logique, est faux. En effet « Bethseda », « Gabbatha » et « Golgotha » ne sont pas des mots hébreux mais araméens.
Ce qui est particulièrement intéressant dans ces passages, c’est que Jean utilise le terme hébraïsti pour désigner l’araméen. Cela montre à quel point la langue araméenne était devenue la langue des hébreux. Précisons toutefois que ce terme peut aussi désigner l’hébreu dans d’autres passages.
À l'époque de Jésus, la majorité du peuple judéen ne parlait plus que l'araméen et/ou le grec. Seuls les notables et les chefs religieux maîtrisaient encore l'hébreu.