Recension : L’Apocalypse (Claude Tresmontant)

En lien avec ma série sur la fin des temps, je vous propose une recension de deux ouvrages de Claude Tresmontant portant sur l’Apocalypse.

L’auteur

Claude Tresmontant (1925-1997) est un écrivain prolifique. Il est surtout connu pour sa thèse sur l’origine hébraïque du Nouveau Testament et son fameux livre le Christ hébreu (1983).

D’après lui, le Nouveau Testament aurait d’abord été écrit en hébreu avant d’être ensuite traduit en grec. Le texte grec du Nouveau Testament que nous possédons ne serait donc que la traduction d’un original hébreu. Cette thèse lui a valu un nombre important de critiques, notamment de la part d’un autre grand savant français, l’abbé Pierre Grelot (1917-2009).

Je présenterai donc successivement les deux livres

Apocalypse de Jean. Traduction et notes de Claude Tresmontant

Le premier de ces deux livres est simplement l’Apocalypse traduite et annotée par Claude Tresmontant. Comme pour les autres textes du Nouveau Testament, l’auteur reste fidèle à sa thèse et essaye de traduire le texte en tenant compte du texte hébreu qu’il pense sous-jacent. Laissons le expliquer sa méthode :

« Comme dans notre précédente traduction, celle de l’Evangile de Jean, nous n’avons pas cru devoir dissimuler au lecteur de langue française les extraordinaires fautes de grammaire et incorrections de toutes sortes qui caractérisent le texte grec de l’Apocalypse. Nous n’avions pas à améliorer ni à corriger ni à amender le texte grec de l’Apocalypse, mais si possible et autant que possible, à le traduire à l’intention d’un lecteur de langue française qui ne lit pas le grec. Nous avons donc laissé dans notre traduction française un bon nombre des incorrections, des fautes de grammaire qui pullulent dans le texte grec de l’Apocalypse. Exactement comme pour le texte grec de l’Evangile de Jean, ces énormes fautes de grammaire proviennent de ce que le traducteur a suivi de très près, de trop près si l’on veut -c’est une question de goût- son texte hébreu. Les fautes de grec que l’on lit dans le texte grec de l’Apocalypse, en réalité et le plus souvent, c’est de l’hébreu qui n’a pas été hellénisé : c’est dire que l’on voit encore plus clairement l’hébreu qui est sous le texte grec de l’Apocalypse, que dans l’Evangile de Jean. »

Par ailleurs, le texte est traduit sans majuscule ni signe de ponctuation car ceux-ci n’existaient pas dans le texte original. Pour illustrer cela, voici les trois premiers versets (Apocalypse 1 : 1-3) :

révélation de ieschoua qui a reçu l’onction

celle qu’il lui a donnée

dieu

(pour) montrer à ses serviteurs

ce qui va arriver prochainement

et il l’a fait connaître

et il a envoyé (le message)

par la main de son messager

à son serviteur iohanan

et lui il a attesté

(la vérité de) la parole de dieu

et l’attestation (de la vérité)

de ieschoua qui a reçu l’onction

tout ce qu’il a vu

heureux celui qui lit

et (heureux) ceux qui écoutent

les paroles de la prophétie

et qui gardent ce qui en elle est écrit

car le temps est proche

 

A cette traduction s’ajoute aussi 200 pages de commentaires à la fois philologiques (note de grammaire sur le texte, etc.) et interprétatifs. L’auteur défend en effet une idée un peu inhabituelle et qui est très bien résumée dans l’avant-propos de la deuxième édition :

« Nous rééditions telle quelle et sans aucune modification la traduction de l’Apocalypse que nous avons donnée en 1984. Nous publions en même temps et aux mêmes éditions une Introduction historique à l’Apocalypse. L’Apocalypse a probablement été composée, d’un seul coup ou par fragments, entre les années 52 et 54. Son auteur Iohanan est probablement identique au Iohanan du IVe évangile. Il était kôhen. Il a été kohen gadôl (grand prêtre) en 36-37. Il est probablement identique au Iohanan surnommé Marcus, le Marteau, hébreu maqqabah.

Dans l’Apocalypse il faut distinguer ce qui pour Iohanan et pour les frères et sœurs des communautés à qui il écrivait, était du passé ou du présent, -et ce qui est de l’avenir. Le passé et le présent sont indiqués par Iohanan en langage chiffre, codé, exactement comme l’avait fait l’auteur inconnu du livre de Daniel, au IIe siècle avant notre ère, et pour les mêmes raisons : Iohanan écrit sous la terreur des persécutions à l’encontre des jeunes communautés chrétiennes. Ce qui relève de l’avenir, c’est la prophétie : la prise, la chute et la destruction de Jérusalem ; la descente de la nouvelle Jérusalem, la kallah, la chérie du Cantique des Cantiques qui est la nouvelle épousée. Je n’ai pas trouvé dans l’Apocalypse de texte qui porte sur la fin du monde ou de l’Univers. »

Ces différents points sont développés dans le second livre que je vais maintenant présenter.

Apocalypse de Claude Tresmontant

Enquête sur l’Apocalypse. L’auteur – La date – le sens.

Dans ce second livre, l’auteur revient plus en détail sur la thèse résumée dans la préface du premier livre et qui, avouons le, est peu courante et peut même, à première vue, paraître un peu déroutante.

L’identité de l’auteur de l’Apocalypse : qui est Iohanan ?

Pour Claude Tresmontant, l’auteur de l’Apocalypse doit être identifié avec celui que la Bible appelle Jean et Marc. Celui-ci, avant de devenir disciple de Jésus, avait exercé de hautes fonctions dans le Temple et a même, probablement, été cohen gadôl (grand prêtre), puisque Claude Tresmontant l’identifie à un grand prêtre en fonction dans les années 36-37, Ionatan ben Hanan, et mystérieusement disparu après.

La date

Cette identification le conduit aussi à proposer une datation très haute pour l’Apocalypse, puisqu’il pense que ce livre a été écrit sous le règne de Claude, l’empereur qui a précédé Néron, comme l’affirme Epiphane de Salamine.

La question de la datation est importante car elle influence directement notre manière d’interpréter les textes. En effet, si le texte date de cette époque cela veut dire que la principale menace pour la jeune communauté chrétienne n’était pas l’empire romain mais les Judéens qui refusaient de reconnaître en Jésus le Messie promis.

Bien qu’aujourd’hui la majorité des commentateurs penche au contraire pour une datation bien plus tardive (fin du Ier siècle- début du IIe siècle), les arguments pour soutenir cette datation haute ne manquent pas.

Quelques extraits et idées clefs

Pour terminer, et avant de donner mon avis, je vous propose quelques extraits du livre :

« Si l’on étudie les couches géologiques, les stratifications de la sainte Bibliothèque Hébraïque (ndl : c’est le nom que donne Claude Tresmontant à l’Ancien Testament), on découvre un processus : l’histoire de la Révélation, qui se fait par étapes, elle aussi, tout comme l’histoire de la Création.

« L’erreur a consisté pendant de nombreux siècles à s’imaginer que les cinq premiers de la sainte Bibliothèque hébraïque (ndl : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) sont un système plan, sans histoire interne, composé d’un seul coup ou à peu près, système dans lequel tous les documents sont contemporains. On entrait alors dans des difficultés inextricables, insurmontables, comme si on voulait supposer que des fossiles appartenant à des couches géologiques différentes sont en réalité contemporains. Pour se sortir de ces difficultés, on en était réduit à des exégèses allégoriques, typologiques, etc., telles qu’elles abondent par exemple chez Origène d’Alexandrie et ses disciples. On ne pouvait pas discerner le processus historique de la Révélation qui procède par étapes, en transformant la vieille humanité. »

Claude Tresmontant partage aussi l’idée de révélation progressive, que j’avais développée dans un autre article et qui formait la trame de ma série sur l’histoire du Salut :

« On voit à quel point il est nécessaire de s’efforcer de retrouver l’âge de ces documents qui ont été empilés les uns sur les autres, pour tâcher de comprendre l’histoire du processus de la Révélation, et pour éviter de brandir n’importe quel texte appartenant à n’importe quelle couche géologique, comme s’il avait une portée actuelle.

Si l’on étudie l’histoire des législations hébraïques, en tenant compte des couches géologiques et des stratifications, on voit que le peuple hébreu est parti d’un état de l’humanité ancienne, état dans lequel la pratique des sacrifices humains, des sacrifices des enfants premiers était générale. On trouve donc un document fossile qui l’atteste (Exode 13,2).

« Une seconde étape c’est la substitution des sacrifices d’animaux aux sacrifices humains (Exode 13, 5).

« Il est vraisemblable que le midrach Genèse 22 enseigne cette substitution du sacrifice d’un animal à la place de (hébreu tahat, grec anti) l’enfant d’homme premier-né, du fils premier né. (…)

« Une troisième étape dans l’histoire des législations hébraïques, c’est la critique de la pratique des sacrifices d’animaux par les prophètes hébreux depuis Amos et Isaïe au VIIIe siècle avant notre ère, puis Jérémie au VIIe siècle avant notre ère.

« C’est cette troisième étape qui conduit tout droit à la métamorphose qui s’est produite après les années 30 de notre ère : l’abolition de la pratique des sacrifices d’animaux. »

Enfin, je ne cache pas que l’interprétation de Claude Tresmontant correspond souvent à ma propre interprétation du texte. Ainsi, il identifie Babylone, aussi bien celle de la Première épître de Pierre que celle de l’Apocalypse, à la Jérusalem terrestre, idée que j’avais défendu dans mon ancien blog (un article sera prochainement publié sur ce sujet).

Mais sa grande érudition lui permet aussi de proposer de nombreuses pistes de réflexion. Il fait par exemple le lien entre le nombre 666 et le nom d’Hérode.

Commentaire personnel

Concernant sa thèse principale, sur l’auteur et l’origine hébraïque de l’Apocalypse, je pense qu’il faut être prudent et distinguer les preuves formelles et les conjectures. Claude Tresmontant a tout à fait raison d’insister sur la syntaxe hébraïque qui montre bien que celui qui a écrit l’Apocalypse pensait en hébreu. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il a directement écrit en hébreu. D’autres indices suggèrent au contraire une écriture en grec.

Pour ce qui est de l’auteur, je crois qu’il a raison de penser que celui-ci était proche des milieux sacerdotaux et, probablement, lui-même un prêtre. Faut-il pour autant l’identifier au grand prêtre Ionatan ? La question mérite d’être débattue. En revanche, il me paraît plus difficile de soutenir que ce Jean, soit le même que celui mentionné dans les Actes des apôtres. S’il avait été grand-prêtre, Luc n’aurait pas manqué de le souligner et l’attitude des apôtres envers lui aurait probablement été très différente. Au contraire, Jean surnommé Marc, donne plutôt l’impression d’être, à cette époque, un jeune disciple, exactement comme Timothée qui accompagna Paul.

Conclusion

Pour conclure, je dirais que ce sont deux livres vraiment très intéressants. Contrairement à ce que dit l’auteur, ils ne sont pas forcément faciles d’accès. Toutefois nul doute qu’ils plairont à ceux qui souhaitent réfléchir sur l’Apocalypse et son sens.

Je ne cache pas que les thèses de Claude Tresmontant sont très minoritaires. Pour autant, on aurait tort de les balayer d’un revers de main. Si elles sont parfois extrêmes et exagérées (notamment l’identification de Jean surnommé Marc au grand prêtre Ionatan), les pistes qu’il offre permettent de stimuler la réflexion.

Si je ne le suis pas sur toutes ses conclusions, lui-même reconnaît que certaines d’entre elles sont très conjecturelles, je pense que, contre l’avis dominant, il a raison sur plusieurs points importants, notamment la datation précoce de l’Apocalypse et l’origine sacerdotale de l’auteur.

Ces deux points sont capitaux car ils conduisent à une lecture de l’Apocalypse totalement différente de celle qui nous est habituellement proposée.

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Apocalypse de Jean : Traduction et notes de Claude Tresmontant

Enquête sur l’Apocalypse : Auteur, datation, signification 

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.