On entend souvent des chrétiens employer le terme de « Parole de Dieu » comme synonyme de Bible. Bien que cela parte d’une bonne intention, valoriser l’autorité des Ecritures, il me semble que c’est un abus de langage qui peut être préjudiciable et qui se fonde sur une mauvaise compréhension de l’inspiration.
Dans cet article, j’aimerais donc réfléchir sur le rapport entre « la Parole de Dieu » et les « Ecritures » dans le christianisme, ce qui permettra d’expliquer pourquoi le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien plutôt une « religion de l’Incarnation ».
Commençons donc par examiner les Ecritures en nous intéressant à l’emploi de l’expression « Parole de Dieu ».
Parole de Dieu et paroles de Dieu
A plusieurs reprises, les Ecritures désignent Jésus comme La Parole de Dieu (Jean 1 ; Apocalypse 19 : 13). En revanche, l’Ecriture ne s’identifie jamais dans son ensemble à « La Parole de Dieu ». Il est donc très clair que pour la Bible elle-même, seul Jésus est véritablement La Parole de Dieu.
Ici, il convient cependant de faire la distinction entre « la Parole de Dieu » et les « paroles de Dieu ». De nombreuses fois les Ecritures nous rapportent les paroles exprimées par Dieu. Ces passages sont introduits par des expressions comme « Ainsi parle l’Eternel » ou « Dieu dit ». L’Ecriture contient donc bien des paroles de Dieu. Toutefois, cela ne nous autorise pas à assimiler l’ensemble des Ecritures aux paroles de Dieu pour en faire « La Parole de Dieu ». En effet, concernant ces expressions, il est nécessaire de remarquer deux choses :
a) Premièrement, la répétition de ces expressions indique précisément la limite de leur portée. Si elles sont aussi nombreuses, c’est justement parce qu’elles introduisent des citations très précises. Jamais elles ne désignent la Bible dans sa globalité, mais elles se réfèrent toujours à un ensemble bien délimité de paroles
b) Deuxièmement, ces expressions sont très mal réparties. Dans leur immense majorité, elles sont contenues dans des textes prophétiques, ce qui est logique puisque comme leur nom l’indique, ces textes transmettent les paroles de Dieu. En revanche, on ne les trouve pas dans d’autres livres, comme l’Ecclésiaste ou le Cantique des Cantiques. On peut d’ailleurs signaler que dans la version rabbinique du livre d’Esther, Dieu n’est même pas directement mentionné. Il semble néanmoins que cette absence soit due à une intervention des rabbins et que Dieu était bien mentionné dans le texte original. J’en parlerai dans un prochain article.
Les auteurs et les sens de la Bible
Nous avons vu précédemment que la Bible avait deux types d’auteurs (des auteurs humains et un auteur divin) et trois sens différents de lectures (verbal, personnel et allégorique). On pourrait dire que la Bible est la Parole de Dieu, car, à travers sa lecture, Dieu nous parle personnellement. Certes, cela est vrai, mais soulignons que Dieu se sert aussi de sa création (Psaume 19 : 1) et même d’une ânesse (Nombres 22) pour parler aux hommes. Pour autant qualifie-t-on les cieux ou l’ânesse de Balaam de « Parole de Dieu » ? Dans ce cas là, il est préférable de dire que tel ou tel passage de la Bible devient parole de Dieu lorsqu’Il l’utilise pour nous parler.
Les citations de la Bible dans le Nouveau Testament
Il est important de souligner que les auteurs du Nouveau Testament, lorsqu’ils citent la Bible, ne disent jamais « La Parole de Dieu dit », mais utilisent plutôt des phrases introductives comme « Il est écrit », « D’après les Ecritures » ou d’autres expressions semblables. Ainsi, la Bible est toujours désignée comme « l’Ecriture » ou « les Ecritures ». Cette précision verbale est d’ailleurs respectée par les premières générations de chrétiens qui prendront bien soin de distinguer « Ecriture(s) » et « Parole de Dieu ». Par la suite, cette distinction a eu quelque peu tendance à disparaître, même si, après l’apparition de l’islam, des théologiens comme Jean Damascène ont rappelé l’importance de cette distinction.
Lorsque dans le Nouveau Testament, l’expression «Parole de Dieu » est employée pour se référer à la Bible, c’est soit pour citer directement des paroles de Dieu contenues dans la Bible (la plupart du temps), soit pour citer un prophète qui s’exprime sous la conduite de l’Esprit-Saint (au sens littéral ou allégorique). En revanche, à aucun moment nous ne voyons Jésus ou les apôtres citer un récit narratif ou un texte historique en disant « la Parole de Dieu dit », comme cela se fait couramment dans nos Eglises évangéliques contemporaines.
Ainsi, on ne verra jamais un auteur du Nouveau Testament dire: « Ouvrons la Parole de Dieu dans le premier livre des rois ».
L’apôtre Paul et la Parole de Dieu
De plus, il faut souligner que pour l’apôtre Paul, la distinction ne passe pas entre l’oral et l’écrit. Mais au sein de son enseignement, écrit ou oral, il y a des paroles qui viennent directement de Dieu et d’autres non. Ainsi, Paul ne fait pas de hiérarchisation entre son enseignement oral et ses lettres, pensant que le premier était faillible tandis que ce qu’il écrivait était directement « la Parole Dieu ». Au contraire, il précise bien :
« Ainsi donc, frères, demeurez fermes, et retenez les instructions que vous avez reçues, soit par notre parole, soit par notre lettre. » 2 Thessaloniciens 2 : 15
En revanche, il est bien conscient que tout ce qu’il écrit n’est pas à mettre au même niveau. Certaines paroles viennent directement d’une révélation divine, tandis que d’autres sont plutôt issues de sa propre réflexion :
« A ceux qui sont mariés, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur » 1 Corinthiens 7 :10
« Pour ce qui est des vierges, je n’ai point d’ordre du Seigneur; mais je donne un avis, comme ayant reçu du Seigneur miséricorde pour être fidèle. » 1 Corinthiens 7 : 25
Et si l’apôtre, dans son texte inspiré, prend la peine de mentionner cette différence, pourquoi la gommer ?
Nous allons maintenant voir que cette confusion entre « Bible » et « Parole de Dieu » pose par ailleurs plusieurs problèmes.
Décisions humaines et volonté divine
Le premier problème est que cette confusion conduit à assimiler certaines décisions humaines à la volonté divine. Prenons un cas très concret : la définition de l’adultère. Se remarier après une répudiation, est-ce de l’adultère ? Ou, se remarier avec une femme répudiée est-ce de l’adultère ?
D’après la Torah : non (Deutéronome 24)
D’après Jésus : oui (Luc 16 : 18)
Face à ce dilemme, nous avons trois possibilités :
- Soit la Parole de Dieu se contredit
- Soit Dieu a changé d’avis sur la définition de l’adultère, ce qui veut donc dire que la loi morale est relative et ouvre par conséquent la porte à toutes sortes de dérives
- Soit un des deux textes n’est pas la Parole de Dieu.
En l’occurrence, en tant que chrétien, la solution est assez simple, puisque Jésus, la Parole de Dieu incarnée, donne lui-même la réponse :
« Et Jésus leur dit: C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a donné ce précepte. Mais au commencement de la création, Dieu fit l’homme et la femme; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint. » Marc 10 : 5-9
L’autorisation du divorce ne vient donc pas de Dieu mais de Moïse. Et ce n’est qu’un compromis temporaire que Jésus annule finalement. Jésus ne considère donc pas toute la Torah comme « Parole de Dieu » mais il fait au contraire la distinction entre ce qui vient directement de Dieu et ce qui vient de Moise ou d’un législateur postérieur.
Les Evangiles arrêtent ici la conversation et ne nous rapportent pas la suite. En revanche nous pouvons connaître le point de vue pharisien grâce au Talmud :
« Celui qui dit « La Torah n’est pas de Dieu », ou même s’il dit « Toute la Torah est de Dieu à l’exception de ça, ou ce verset n’est pas de Dieu mais Moise l’a dit de sa propre bouche » sera retranché ». (Talmud de Babylone, Sanhédrin 99a)
Nous voyons que ce passage s’applique parfaitement à la controverse entre Jésus et les pharisiens, puisque Jésus contestait l’origine divine de l’autorisation du divorce, qui pourtant fait partie de la Torah (Deutéronome 24) et va même jusqu’à l’annuler. Cet exemple nous montre bien qu’il est nécessaire de distinguer, même dans la Bible, ce qui vient de Dieu et ce qui vient des hommes, Jésus étant la référence absolue.
Religion du livre ou du Verbe incarné ?
Le deuxième problème est que cette confusion peut créer un malentendu lorsque nous discutons avec d’autres personnes, en particulier lorsqu’il s’agit de juifs ou de musulmans. Dans le Coran, le christianisme est considéré comme une « religion du livre » et en assimilant « Bible » et « Parole de Dieu », beaucoup de chrétiens donnent raison à cette vision. Ainsi, la Bible serait une sorte de « Coran chrétien ».
Mais c’est là une grande erreur. Dans le christianisme, Dieu n’a pas fait descendre Sa Parole sous forme d’un livre, mais sous forme d’un homme. L’équivalent du Coran pour les chrétiens n’est donc pas la Bible mais Jésus de Nazareth. Nous ne sommes pas une « religion du livre », mais celle du Verbe incarné : La Parole de Dieu s’est faite chair pour notre salut. Quant à la Bible, elle occupe plutôt la place des hadiths et de la Sira (les paroles et les actions de Muhammad ou de ses compagnons directs).
Parole de Dieu et fondamentalisme
Enfin, le troisième problème est que cette confusion entre « Bible » et « Parole de Dieu » conduit à une des deux dérives contre lesquelles je mettais en garde en introduction, celle du fondamentalisme. C’est ce que j’expliquerai dans mon prochain article en abordant la question de l’inerrance biblique.
Conclusion
Si l’utilisation de « Parole de Dieu » comme synonyme de « Bible » part d’une bonne intention, celle de valoriser l’autorité des Ecritures, elle aboutit à un paradoxe, puisque ces mêmes Ecritures, comme nous venons de le revoir, réfutent très clairement cet amalgame.
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