Avant d’aborder l’étude des évènements de la fin des temps et l’explication des prophéties, il reste un troisième préjugé à examiner : le littéralisme. Le « littéralisme » est particulièrement présent dans certains milieux évangéliques et consiste à croire que le sens littéral du texte est le sens le plus fidèle.
J’ai eu l’occasion de consacrer une série d’articles à l’inspiration et l’interprétation de la Bible, je ne reprendrai donc pas tout ce que j’ai dit, mais je préciserai simplement quelques mots de vocabulaires. Pour commencer, il faut bien distinguer quatre termes : le sens premier, l’allégorie, le sens littéral et la métaphore.
L’allégorie c’est donner au texte un sens auquel ne pensait pas son auteur humain. Paul nous en donne un exemple en Galates 4 (versets 22 à 31). Toutefois, je n’insisterai pas là-dessus car cela ne concerne pas notre série sur la fin des temps.
Lire le texte selon son sens premier (ou sens de l’auteur), c’est chercher à comprendre ce que l’auteur (humain) du texte a voulu dire. Mais ce sens premier peut-être littéral ou métaphorique. Par exemple, si je dis à mon interlocuteur : « Tu es une tortue ». Ici, chaque personne comprend (normalement) que je veux dire à mon interlocuteur qu’il est lent et que par conséquent « Tu es une tortue » est une métaphore. Ainsi, pour bien comprendre le sens de ma phrase, il faut admettre que le « Tu es une tortue » ne doit pas être pris littéralement, comme si j’affirmais que mon interlocuteur était une tortue, mais que cette proposition doit être comprise comme une métaphore. Je compare mon interlocuteur à une tortue, animal réputé pour être lent, afin de signifier qu’il est lent.
Ce raisonnement peut paraître évident et enfantin. Pourtant de nombreux chrétiens, et particulièrement dans les milieux évangéliques, tombent dans ce piège et attribuent à des métaphores un sens littéral. En cela, loin d’être fidèle aux textes bibliques, ils lui attribuent toutes sortes d’idées absurdes.
Pensée contemporaine et pensée biblique.
Notre système de pensée actuel nous incite à privilégier le sens littéral. Cette habitude est issue de la pensée moderne rationnelle. Si cette manière de penser peut s’avérer très précieuse et utile dans de nombreuses situations, notamment lorsque nous abordons des questions scientifiques, il me semble important de comprendre que ce n’est pas la seule façon d’atteindre la réalité et que d’autres cultures peuvent développer d’autres modes d’expression pour exprimer d’autres vérités, notamment spirituelles. C’est le cas des cultures sémitiques du Moyen Orient auxquelles appartenaient la plupart des auteurs bibliques
Prophéties bibliques : symboles et métaphores
Cet usage se voit dès le livre de la Genèse. L’histoire de Joseph est un très bon exemple. Que ce soit Joseph, les serviteurs de Pharaon ou Pharaon lui-même, tous reçoivent les prophéties sous forme de symboles qu’ils doivent déchiffrer. Pour eux, ce langage symbolique était une évidence et aucun n’aurait eu l’idée de les interpréter de manière littérale.
« Pharaon dit alors à Joseph: Dans mon songe, voici, je me tenais sur le bord du fleuve. Et voici, sept vaches grasses de chair et belles d’apparence montèrent hors du fleuve, et se mirent à paître dans la prairie. Sept autres vaches montèrent derrière elles, maigres, fort laides d’apparence, et décharnées: je n’en ai point vu d’aussi laides dans tout le pays d’Égypte. Les vaches décharnées et laides mangèrent les sept premières vaches qui étaient grasses. Elles les engloutirent dans leur ventre, sans qu’on s’aperçût qu’elles y fussent entrées; et leur apparence était laide comme auparavant. Et je m’éveillai. Je vis encore en songe sept épis pleins et beaux, qui montèrent sur une même tige. Et sept épis vides, maigres, brûlés par le vent d’orient, poussèrent après eux. Les épis maigres engloutirent les sept beaux épis. Je l’ai dit aux magiciens, mais personne ne m’a donné l’explication. Joseph dit à Pharaon: Ce qu’a songé Pharaon est une seule chose; Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu’il va faire. Les sept vaches belles sont sept années: et les sept épis beaux sont sept années: c’est un seul songe. Les sept vaches décharnées et laides, qui montaient derrière les premières, sont sept années; et les sept épis vides, brûlés par le vent d’orient, seront sept années de famine. Ainsi, comme je viens de le dire à Pharaon, Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu’il va faire. Voici, il y aura sept années de grande abondance dans tout le pays d’Égypte. Sept années de famine viendront après elles; et l’on oubliera toute cette abondance au pays d’Égypte, et la famine consumera le pays. Cette famine qui suivra sera si forte qu’on ne s’apercevra plus de l’abondance dans le pays. Si Pharaon a vu le songe se répéter une seconde fois, c’est que la chose est arrêtée de la part de Dieu, et que Dieu se hâtera de l’exécuter. » (Genèse 41 : 17-32)
Prophéties et hyperboles
Par la suite, les prophètes prendront aussi l’habitude de mêler des éléments cosmiques à leurs prophéties. Nous pouvons prendre l’exemple d’Esaïe 14 qui annonce la destruction de Babylone. Aux versets 10 et 13, nous lisons ceci :
« Car les étoiles des cieux et leurs astres ne feront plus briller leur lumière, le soleil s’obscurcira dès son lever, et la lune ne fera plus luire sa clarté. (..). C’est pourquoi j’ébranlerai les cieux, et la terre sera secouée sur sa base, par la colère de l’Éternel des armées, au jour de son ardente fureur. »
Babylone a bien été prise par les Mèdes comme cela a été prophétisé. Cependant, au sens littéral, tous les évènements cosmiques décrits ici ne se sont jamais accomplis. Mais affirmer cela, ce n’est pas trahir le sens premier, car dans le sens premier, le prophète use justement de métaphores et d’hyperboles pour insister sur l’importance des évènements à venir. Cela fait tout simplement partie du langage prophétique. La vraie erreur est de confondre le sens littéral et le sens premier et d’oublier que ce dernier peut aussi être métaphorique et hyperbolique.
Les auteurs du Nouveau Testament et les prophéties
Les auteurs du Nouveau Testament montrent aussi qu’ils ne confondent pas « sens premier » et « sens littéral ». Prenons par exemple la prophétie que Luc applique à Jean au début de son évangile (3 : 3-6) :
« Et Jean alla dans tout le pays des environs de Jourdain, prêchant le baptême de repentance, pour la rémission des péchés, selon ce qui est écrit dans le livre des paroles d’Ésaïe, le prophète: C’est la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées; ce qui est tortueux sera redressé, et les chemins raboteux seront aplanis. Et toute chair verra le salut de Dieu. »
Au sens littéral, cette prophétie évoque des bouleversements physiques impressionnants. Pourtant, aucun de ces changements ne s’est produit dans le domaine physique à l’époque de Jésus. Ainsi, Luc, en appliquant cette prophétie à Jean, montre qu’il considère que le vrai sens n’est pas littéral mais métaphorique.
Pierre et la prophétie de Joël
Un deuxième exemple nous est proposé par Pierre. Juste après la Pentecôte, les disciples de Jésus se sont mis à parler toutes sortes de langues. Certains Judéens les ont alors accusés d’être ivres. Pour répondre à ces accusations, Pierre cite alors la prophétie suivante :
« Ces gens ne sont pas ivres, comme vous le supposez, car c’est la troisième heure du jour. Mais c’est ici ce qui a été dit par le prophète Joël: Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; Vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes. Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours-là, je répandrai de mon Esprit; et ils prophétiseront. Je ferai paraître des prodiges en haut dans le ciel et des miracles en bas sur la terre, du sang, du feu, et une vapeur de fumée; le soleil se changera en ténèbres, et la lune en sang, avant l’arrivée du jour du Seigneur, de ce jour grand et glorieux. Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » (Actes des apôtres 2 : 15-21).
Cette prophétie mentionne encore des signes cosmiques impressionnants. Pourtant, Pierre l’applique à son époque alors qu’aucun de ces signes ne s’est réalisé physiquement. Là encore, l’apôtre montre qu’il comprend les paroles du prophète comme des hyperboles et des métaphores et qu’il ne cherche pas un accomplissement littéral.
Conclusion
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une interprétation littérale des prophéties n’est donc pas nécessairement un gage de fidélité au texte biblique, bien au contraire.
Chaque texte doit être interprété en fonction de son genre littéraire. Si les historiens qui composent les livres historiques s’expriment de manière littérale, les prophètes qui communiquent leurs oracles usent souvent de métaphores et d’hyperboles.
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Sommaire de la série :
Les chrétiens et la fin du monde
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Les prophéties bibliques : oracles fatalistes ou panneaux d’avertissement ?