Je continue ma série d’introduction aux Pères de l’Eglise avec le Traité sur la foi adressé à Pierre de Fulgence de Ruspe. Je précise, pour éviter toute confusion, que cet article est une présentation historique de l’œuvre d’un auteur, qui ne reflète pas nécessairement mes idées sur les sujets abordés. Je partage mes propres opinions sur ces questions dans d’autres articles.
Fulgence de Ruspe
Fulgence est né dans les années 460 en Afrique du Nord, dans l’actuelle Tunisie. Grand lecteur de saint Augustin, il se convertit à la vie monastique. Il est ensuite élu, contre son gré, au début du sixième siècle, évêque de Ruspe.
A cette époque, l’Afrique du Nord est dominée par les Vandales, qui sont de confession arienne et persécutent violemment l’Eglise catholique. Fulgence de Ruspe devient très vite le chef spirituel de la communauté catholique africaine et est, à cause de cela, arrêté et envoyé en exil en Sardaigne. Après avoir été rappelé en Afrique, il est envoyé une seconde fois en exil à Cagliari. Après, la mort du roi Thrasamond, en 523, les persécutions cessent et Fulgence peut revenir dans son diocèse où il meurt quelques années après. Il était alors âgé de 65 ans et avait exercé l’épiscopat pendant 25 ans.
Traité sur la foi adressé à Pierre
Ce Traité sur la foi adressé à Pierre est rédigé après son second retour d’exil, juste avant sa mort. Il peut donc être considéré en quelque sorte comme son testament spirituel. Cet ouvrage s’adresse à un certain Pierre qui va partir en pèlerinage à Jérusalem et risque donc de croiser des hérétiques. Fulgence lui offre un exposé des articles de la foi catholique pour le protéger des différentes hérésies. Cet ouvrage est donc extrêmement important, car il présente ce qui était considéré comme la foi catholique par l’Eglise africaine au tournant des 5-6e siècles.
De plus, au Moyen Age, ce traité était transmis avec les œuvres de saint Augustin, ce qui fait que les théologiens médiévaux, comme Pierre Lombard, qui lisent et citent ce livre croient directement lire et citer saint Augustin. Cette erreur de personne n’est au demeurant pas très grave, car Fulgence est un représentant fidèle de l’augustinisme intégral.
Mais le succès de Fulgence dépasse la période médiévale et cette erreur d’attribution, puisque Bossuet le considérait comme « le plus grand théologien et le plus saint évêque de son temps. »
Plan du livre et doctrine
Le plan du livre est assez simple. Après un prologue (1-2), Fulgence consacre une première partie à la doctrine de la Trinité (3-6), puis, dans une deuxième partie, il traite de la christologie (7-24), avant de consacrer une troisième partie à la création (25-46). Enfin, dans une quatrième et dernière partie (47-86), il énonce quarante règles de foi, auxquelles il est nécessaire d’adhérer si on veut être considéré comme un chrétien catholique.
D’un point de vue doctrinal, on peut noter que Fulgence affirme clairement le filioque et qu’il est par ailleurs, comme je l’ai dit précédemment, partisan d’un augustinisme intégral.
Les quarante règles de foi d’un chrétien catholique
Je vous propose donc maintenant de découvrir quelques unes des quarante règles de la foi catholique énoncées par Fulgence de Ruspe.
Règle 23 : Le péché originel
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que tout homme qui est conçu à travers le commerce d’un homme et d’une femme naît avec le péché originel, soumis à l’impiété et assujetti à la mort, et qu’à cause de cela il naît par nature enfant de la colère. » (1)
On trouve ici la formulation classique de doctrine augustinienne du péché originel. Ce péché originel est transmis par l’acte sexuel qui, depuis la chute, ne peut plus se faire sans péché. Je développerai cela dans un autre article.
Règle 24 : Le châtiment des non-baptisés
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que non seulement les hommes usant désormais de leur raison, mais aussi les tout-petits enfants – soit qu’ils commencent à vivre dans le sein de leur mère et qu’ils y meurent, soit que, déjà nés de leur mère, ils quittent monde sans le sacrement du saint baptême qui est donné au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint – doivent être punis du supplice perpétuel du feu éternel. Parce que, même s’ils n’ont commis aucun péché dû à leur propre action, ils ont cependant attiré à eux la damnation du péché originel par leur conception et leur naissance charnelles. » (2)
Dans sa version augustinienne, le péché originel est conçu comme une faiblesse et une culpabilité. Par conséquent, toute personne non-baptisée, y compris un tout petit-enfant ou même un fœtus, est directement condamnée à l’enfer.
Règle 32 : La prédestination divine
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que tous ceux dont Dieu a fait, par sa bonté gratuite, des vases de miséricorde, ont été prédestinés par Dieu avant la constitution du monde, en vue de leur adoption en tant qu’enfants de Dieu et qu’aucun de ceux que Dieu a prédestinés au royaume ne peut périr, et qu’aucun de ceux que Dieu n’a pas prédestinés à la vie ne peut, en aucune manière, être sauvé. La prédestination est en effet cette décision préalable d’un don gratuit, par laquelle l’apôtre dit que nous avons été prédestinés en vue de notre adoption en tant que ses enfants, par l’intermédiaire de Jésus-Christ. » (3)
Sur la question de la prédestination, Fulgence de Ruspe se montre aussi fidèle à la doctrine adoptée par saint Augustin à la fin de sa vie. Celui-ci avait progressivement radicalisé sa position après la crise pélagienne. Je traiterai cela de manière plus détaillée dans d’autres articles.
Règle 34 : Hors de l’Eglise, point de salut
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que tout homme baptisé hors de l’Église catholique ne peut devenir partie prenante de la vie éternelle si, avant la fin de cette vie, il n’a pas été rendu et incorporé à l’Église catholique. Parce que «si j’avais », dit l’apôtre, «toute la foi et connaissais tous les sacrements, mais que je n’aie pas la charité, je ne suis rien » (1 Co 13,2). Car nous lisons aussi que dans les jours du Déluge personne n’a pu être sauvé hors de l’arche. » (4)
Règle 35 : Ceux qui doivent être damnés
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que non seulement tous les païens, mais aussi tous les Juifs, et tous les hérétiques et schismatiques, qui finissent leur présente vie hors de l’Eglise catholique iront dans le feu éternel, qui a été apprêté pour le diable et les anges qui lui appartiennent. » (5)
Règle 36 : Les chrétiens non-catholiques qui meurent en martyrs
« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde, que tout hérétique ou schismatique, baptisé au nom Père et du Fils et de l’Esprit Saint, s’il n’est pas devenu membre de l’Eglise catholique, quel que soit le nombre des aumônes qu’il ait faites, même s’il a aussi versé son sang pour le nom du Christ, ne peut nullement être sauvé. Pour tout homme en effet qui ne respecte pas l’unité de l’Église catholique, ni le baptême, ni une aumône, aussi généreuse soit-elle, ni la mort reçue pour le nom du Christ ne peuvent être profitables pour son salut, lorsque perdure en lui l’erreur hérétique ou schismatique qui conduit à la mort. » (6)
Dans ces trois règles, Fulgence de Ruspe insiste bien sur le fait que l’on ne peut pas être sauvé en dehors de l’Eglise catholique. Même un chrétien qui a la même foi, mais qui pour une raison ou une autre est séparé de l’Eglise catholique, va directement en enfer. Cela inclut aussi les martyrs. Cette conception peut paraître sévère, mais elle sera reprise officiellement par l’Eglise romaine lors d’un concile œcuménique, que je présenterai dans un prochain article.
Conclusion : les quarante règles de foi
Comme vous avez pu le constater, chaque règle est introduite par la même formule : « Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde ». Fulgence veut montrer par là que ce qu’il énonce ne relève pas de ses opinions personnelles, mais représente la foi de l’Eglise. Il reprend cette affirmation de manière particulièrement nette dans sa conclusion :
« Entre temps, crois fidèlement en ces quarante chapitres qui se rapportent très sûrement à la règle de la vraie foi, observe-les avec détermination, défends-les sincèrement et patiemment.
Et si tu apprends que quelqu’un émet des dogmes contraires à eux, fuis-le comme la peste, et rejette-le comme hérétique. En effet, les articles de foi que nous avons posés s’accordent à ce point à la foi catholique que, si quelqu’un veut s’inscrire en faux non seulement contre tous, mais même contre l’un ou l’autre pris isolément, dans le fait qu’il les combat obstinément un à un, et qu’il n’hésite pas à dispenser des enseignements qui leur sont contraires, il apparaît comme hérétique et ennemi de la foi chrétienne, et de ce fait comme devant être frappé d’anathème par tous les catholiques. » (7)
Aujourd’hui, les positions défendues par Fulgence de Ruspe peuvent certainement apparaître à beaucoup de chrétiens comme un peu dures. Toutefois, ce texte est historiquement très important, car il est un des meilleurs exposés de la doctrine augustinienne classique qui a influencé durablement toute la théologie de l’Eglise latine. J’approfondirai ces questions dans de prochains articles.
Notes
(1) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 69.
(2) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 70.
(3) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 78.
(4) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 80.
(5) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 81.
(6) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 82.
(7) Fulgence de Ruspe, Traité sur la foi adressé à Pierre, 87.
Bibliographie
Fulgence de Ruspe, La règle de foi, (trad. fr.: O. Cosma), Paris, Migne, 2006.
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