Une version vidéo est disponible à la fin de l’article.
Dans le protestantisme, et particulièrement le protestantisme évangélique, les Pères de l’Eglise sont souvent mal vus. On les assimile à la « Tradition », et on les rejette à cause d’une mauvaise compréhension du sola scriptura (« l’Ecriture seule »).
Certains protestants, qui bien souvent ne les ont jamais lus, les rendent même responsables de tous les maux de l’Eglise. Les Pères de l’Eglise, sous l’influence de la philosophie, auraient corrompu la saine doctrine de l’Evangile, qu’eux (protestants) prétendent avoir retrouvée.
Une telle affirmation mérite d’être discutée, ce que je ferai certainement dans de prochains articles. Car, sans être totalement fausse, elle appelle néanmoins de sérieuses nuances.
Dans cet article, j’aimerais simplement donner trois bonnes raisons pour un protestant d‘étudier les Pères de l’Eglise. Mais avant cela, une précision s’impose.
J’ai choisi ce titre car je suis moi-même protestant et que, par ailleurs, j’ai particulièrement travaillé sur les Pères de l’Eglise.. Mais les idées que j’avance ici ont une application bien plus large. Certaines d’entre elles peuvent concerner tous les chrétiens et sont aussi valables pour des auteurs plus récents ou écrivant dans d’autres domaines. Ainsi, l’article aurait aussi pu s’intituler : « Pourquoi étudier les auteurs anciens ».
1. Se préserver de l’individualisme et de fausses illusions
Le danger de l’individualisme
Ce premier point est peut-être celui qui concerne le plus directement les protestants. La règle du base du protestantisme est que seule la Bible fait autorité en matière de foi (« sola scriptura ») et chaque chrétien est responsable de son interprétation (libre examen). Je suis entièrement d’accord avec ce principe. Toutefois, il faut faire très attention à ne pas basculer à cause de cela dans l’individualisme en pensant que nous pouvons comprendre la Bible tout seul.
On entend couramment des chrétiens dire qu’ils veulent être fidèles à la Bible, « juste la Bible », et rejeter toutes les traditions humaines. Pour cela, ils s’imaginent que le meilleur moyen est de lire la Bible « tout seul » et d’échapper ainsi « aux lunettes de la Tradition » (expression qui revient souvent).
Il me semble que c’est là une des plus grandes illusions. En effet, ces personnes ne se rendent pas compte qu’en lisant la Bible, ils ont leurs propres lunettes. Chacun, et c’est inévitable, lit la Bible avec la culture de son temps, qui n’est pas celle des rédacteurs bibliques. Or qu’on le veuille ou non, cette culture introduit obligatoirement un biais dans notre lecture. Ainsi, au lieu de lire la Bible avec « les lunettes du passé », ils la lisent avec « les lunettes du présent ».
L’importance du « Corps »
Pour comprendre l’intérêt de lire d’autres commentaires, je vous propose une petite métaphore. On peut se représenter la Bible comme un monument géant qui est trop grand pour être entièrement vu par une seule personne qui reste à un point fixe. Si on veut l’apprécier dans sa totalité, il faut le regarder sous différents angles de vue. Chaque angle de vue ne permettra de voir qu’une partie du monument, mais tous les angles de vue réunis, nous permettront de visualiser complètement ce monument.
Chaque angle de vue est une culture définie par le temps et l’espace. Nous mêmes nous avons notre culture, mais en lisant des auteurs chrétiens issus d’autres époques et d’autres cultures, nous pouvons bénéficier d’autres angles de vue. Bien entendu, les Pères de l’Eglise n’échappaient pas au danger que j’évoque et eux aussi lisaient la Bible avec un filtre culturel (grec, latin, syriaque, etc.). Mais ce qui est intéressant, c’est justement que ce filtre culturel est différent du nôtre et permet donc de comparer avec notre propre compréhension.
Le but n’est donc pas de remplacer notre propre point de vue par celui des Pères de l’Eglise, point de vue qui par ailleurs peut grandement varier d’un Père à l’autre, mais d’utiliser ces différents angles de manière complémentaire.
Ce sont tous ces angles de vue réunis qui nous permettent de mieux voir LE monument unique. C’est-à-dire de mieux comprendre la Bible.
Cette diversité, nous permet aussi de repérer plus facilement les différents « filtres culturels », y compris le nôtre, qui peuvent fausser notre vision du texte.
Bien entendu cette remarque ne concerne pas que les Pères de l’Eglise. Elle est aussi valable pour les auteurs médiévaux ou modernes !
2. L’épreuve du temps
La deuxième raison est ce que j’appelle « l’épreuve du temps ». Nous vivons dans un monde qui court tout le temps après la nouveauté et nous avons parfois du mal à apprécier les choses anciennes. Pourtant si elles ont survécu jusqu’à nous, c’est très certainement qu’elles méritent que l’on s’y intéresse.
Chaque génération produit beaucoup de choses. Tellement, qu’aucun être humain ne peut prétendre tout lire ou tout voir. Mais sur tout le contenu produit, il y a certainement quelques bonnes choses, mais aussi beaucoup d’autres qui n’ont pas forcément d’intérêt. Or, il n’est pas toujours facile sur le moment de faire la distinction entre les deux. Et c’est là que le temps intervient. Si les œuvres ont été traduites et recopiées, c’est que les chrétiens qui nous ont précédés ont estimé qu’elles étaient certainement bénéfiques pour la foi et utiles pour notre instruction. Ainsi, un tri a déjà été fait et c’est souvent le meilleur des générations précédentes qui nous est parvenu. Bien entendu, ce critère n’est pas infaillible. Mais il est très souvent pertinent et nous aurions tort de nous priver de ce travail.
Rappelons nous que le Saint-Esprit n’a pas attendu le XVIe siècle pour se manifester dans l’Eglise. Il serait dommage de se priver de toutes les révélations qu’ont pu avoir les chrétiens qui nous ont précédés.
3. Des informations inédites
Les écrits extra-bibliques
Enfin, pour comprendre la Bible, nous avons besoin de certaines informations que nous ne possédons pas forcément. J’illustrerai cela avec un exemple tout simple. Dans une de ses épîtres (2 Timothée 3 :8), l’apôtre Paul nous parle de deux personnes, « Jannès et Jambrès », qui se sont opposées à Moïse. Vous aurez beau lire et relire autant de fois que vous voulez votre Bible, vous ne trouverez jamais mention de ces deux personnes. Pourquoi ? Parce que ce sont des personnages targoumiques. (Voir mon article sur le sujet).
Il est donc parfois nécessaire d’avoir des informations venant de documents en dehors de la Bible pour comprendre certains passages bibliques. L’exemple que j’ai donné est simple car le lecteur peut dans ce cas s’apercevoir très facilement qui lui manquent une information. Toutefois, les choses ne sont pas toujours évidentes. Parfois, nous manquons d’informations pour comprendre certains passages, mais nous ne nous en rendons même pas compte.
La Septante
Or, les écrits des Pères de l’Eglise contiennent parfois des informations inédites que nous ne pourrions jamais deviner nous-mêmes et qui pourtant nous aident à mieux comprendre la Bible.
Pour illustrer cela, je vais prendre un exemple tout simple tiré directement de ma propre expérience. C’est grâce aux Pères de l’Eglise que j’ai pu découvrir la Septante.
Plusieurs Pères de l’Eglise parlent de cette version de l’Ancien Testament et affirment que c’était le texte utilisé par les apôtres. Et, effectivement, les travaux bibliques contemporains ont confirmé cela puisqu’environ 70% des citations du Nouveau Testament proviennent de la Septante. Au delà ce chiffre, j’ai aussi pu vérifier cela à travers des exemples précis, comme le discours de Jacques en Actes 15.
Cependant, si je n’avais pas lu cette information chez Irénée ou Origène, jamais je ne l’aurais trouvée par moi-même. Un deuxième exemple peut illustrer cela.
Jésus et les sadducéens
Les évangélistes nous rapportent un débat entre Jésus et les sadducéens sur la résurrection des morts :
« Jésus leur répondit (aux Sadducéens) : Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car, à la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit: Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob? Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants. » Matthieu 22 : 29-32.
Cette réplique peut nous interroger. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas choisi un passage plus explicite pour justifier la résurrection ? Là encore la réponse se trouve chez Origène. Celui-ci nous explique que les sadducéens n’admettaient comme « Ecriture » que les « livres de Moïse » (c’est-à-dire le Pentateuque et probablement Job). Pour débattre avec les sadducéens, Jésus et les pharisiens ne pouvaient utiliser que des livres reconnus par leurs adversaires.
Conclusion
Les Pères de l’Eglise ne sont pas infaillibles. Il ne faut pas les idéaliser, mais on aurait tort en revanche de s’en priver totalement.
L’individualisme est certainement un des plus grands dangers qui menace le protestantisme. Face à cela, le meilleur remède reste l’Eglise, c’est-à-dire « l’assemblée » qui réunit tous les chrétiens de notre époque, mais aussi des époques passées.
Je commencerai donc sur ce blog une série d’articles pour permettre à chacun de découvrir les écrits des Pères de l’Eglise.
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