Un chrétien peut-il écraser une araignée ou un moustique ?

Ce soir, en sortant de la salle de bain, je suis tombé nez-à-nez avec une araignée, plutôt volumineuse (enfin tout est relatif, j’habite en région parisienne). A peine je change de pièce, pour prendre de quoi m’en débarrasser, que je rencontre une de ses congénères. Mais alors, que je m’apprêtais à l’éliminer, une question me vint à l’esprit : ne vais-je pas commettre un péché en infligeant une souffrance inutile à un être innocent ?

En méditant profondément sur cette question, je me suis souvenu qu’il y’a quelques mois, j’avais justement écouté un podcast d’un philosophe évangélique, William Lane Craig, qui évoquait les différents degrés de souffrances au sein du monde animal.

J’ai donc eu l’idée de faire une petite recherche sur internet et je suis tombé sur un texte qui m’a paru intéressant de vous partager.

Les invertébrés souffrent-ils?

Les invertébrés sont définis comme des animaux dépourvus de colonne vertébrale ou de moelle épinière1; il s’agit notamment des insectes, des crustacées (crevettes, homards et crabes par exemple) et des mollusques (huîtres, escargots et pieuvres par exemple). Traditionnellement, ces animaux ont été exclus des lois sur la cruauté envers les animaux2.

La douleur est définie par l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion »3. L’élément subjectif et émotif de la douleur est considéré comme important, et non l’activation des récepteurs qui transmettent le message de la douleur au cerveau (les nocicepteurs). L’IASP affirme que l’activité induite dans les voies nociceptrices par un stimulus nocif n’est pas de la douleur, qui est toujours un état psychologique, même si la douleur a le plus souvent une cause physique proche. En d’autres mots, les seuls animaux capables d’éprouver de la douleur sont ceux qui peuvent éprouver la peur, l’anxiété, la détresse et la terreur, tout comme les humains lorsqu’ils reçoivent des stimuli négatifs.

Presque tous les organismes vivants, y compris les bactéries, tentent de fuir devant un stimulus négatif4. Comme les bactéries sont incapables d’éprouver de la douleur (étant dépourvues d’un système nerveux), la présence d’un mécanisme de fuite face à un stimulus négatif n’est pas suffisante pour démontrer qu’une espèce est capable d’éprouver de la douleur. Pour affirmer qu’un vertébré (mammifère, oiseau ou reptile) éprouve de la douleur, les chercheurs se fondent sur les vocalisations et les réactions physiologiques comme la libération d’hormones de stress par l’animal mis en présence d’un stimulus négatif2. Comme ces réponses sont semblables aux nôtres lorsque nous éprouvons de la douleur, les chercheurs prétendent par analogie que les animaux qui les manifestent éprouvent également de la douleur2. Ce raisonnement n’est pas applicable aux invertébrés. Leur physiologie est trop différente de la nôtre1 car ils ont divergé des vertébrés il y a des centaines de millions d’années1.

Les scientifiques font appel à trois critères pour évaluer la possibilité que les invertébrés éprouvent de la douleur5.

La fonction évolutionnaire de la douleur
La capacité neurale des invertébrés
Le comportement des invertébrés

1. La fonction évolutionnaire de la douleur

Chez les vertébrés, la douleur est considérée comme un outil d’apprentissage important6. Les vertébrés vivent relativement longtemps et l’apprentissage conditionne en bonne partie leur comportement. Apprendre de la douleur (et du plaisir) joue un rôle vital dans le développement de ce comportement6.

Presque tous les invertébrés ont une vie courte et leur comportement serait en grande partie déterminé par l’hérédité7. Par conséquent, il y a moins de pression évolutionnaire pour les sélectionner à partir de la douleur6.

2. La capacité neurale des invertébrés.

Sauf les céphalopodes, les invertébrés ont un système nerveux réduit, composé de nombreux petits « cerveaux » qui sont en fait des ganglions. Comme ils n’ont pas beaucoup de neurones et que le système nerveux est morcelé, les invertébrés disposeraient d’une capacité cognitive limitée6. On considère qu’il faut une capacité cognitive supérieure en préalable au développement d’une réponse émotive6.

3. Le comportement des invertébrés

Les invertébrés ne manifestent guère de comportements que nous considérons comme témoignant de l’émotion6. Beaucoup sont cannibales et mangent même leurs petits quand ils ont la chance. La plupart n’ont aucun comportement social. Même s’ils peuvent réagir vigoureusement à des stimuli négatifs, leur réaction n’est pas constante. Ainsi, les insectes continuent leurs activités normales après de graves blessures. Un insecte qui marche avec un tarse écrasé (partie inférieure de la jambe) continue de l’appuyer au sol avec la même force. Les sauterelles pulvérisées au DDT se tordent, mais une sauterelle continue de se nourrir quand une mante religieuse est en train de la dévorer6.

Céphalopodes

On considère souvent les céphalopodes à part dans les comités de bien-être des animaux (par exemple au Conseil canadien de protection des animaux) parce qu’ils disposent d’un système nerveux central développé, analogue à celui des vertébrés, et de la taille de celui d’un poisson8. Au Royaume-Uni, ces animaux jouissent d’une certaine protection légale, mais ce n’est pas le cas aux États-Unis.

Même s’ils ont de gros cerveaux, tous les céphalopodes colloïdes (pieuvre, calmar et seiches) n’ont pas une grande longévité8 : la plupart vivent moins d’un an. Les parents ne donnent pas de soins aux petits8. L’absence de soins parentaux donne à penser que leur comportement est avant tout déterminé génétiquement (en d’autres mots, ils doivent être capables de chasser, de se cacher de leurs prédateurs et de communiquer sans apprentissage donné par un membre de l’espèce). Ils sont capables d’apprendre, mais cette capacité est parfois supérieure, parfois inférieure à celle des poissons8,9. La plupart sont très cannibales, même les calmars qui vivent en bancs. Nous ne savons rien de leur réponse hormonale au stress, et nous ne pouvons donc pas déterminer s’ils manifestent une réaction physiologique analogue à la nôtre face aux stimulus négatifs. Nous ne connaissons guère leur système de communication visuelle et par conséquent, nous ne savons pas s’ils émettent des signaux particuliers en cas de douleur. En considérant les trois critères susmentionnés, il n’y a guère d’indice que ces animaux éprouvent de la douleur. Néanmoins, il se peut qu’en en découvrant davantage à leur sujet, on puisse prouver qu’ils sont capables de souffrir.

Conclusions

Il est certes impossible de connaître avec certitude l’expérience subjective d’un animal, mais l’ensemble des données donne à penser que la plupart des invertébrés n’éprouvent pas de douleur. La preuve est assez forte dans le cas des insectes; pour les autres animaux, il y a consensus autour du fait qu’ils n’éprouvent pas de douleur6.

Références

1. Brusca R and Brusca G. 2002. The Invertebrates. 2nd edition. Sinauer.

2. Animal Behaviour Society, 2003. Anim. Behav. 65: 649-655

3. International Association for the Study of Pain. www.iasp-pain.org/terms-p.html

4. Berg, H 1975. Nature. 254: 389-392

5. Sherwin, C 2001. Anim. Welfare. 10: S103-S118

6. Eisemann C et al. 1984. Experientia 40: 164-167

7. Drickamer L et al. 2001. Animal Behavior: Mechanisms, Ecology and Evolution. 5th edition. McGraw-Hill.

8. Hanlon R and Messenger J 1996. Cephalopod Behaviour, Cambridge Univ. Press.

9. Boal J et al. 2000. Behav. Processes. 52: 141-15

Source.

Le Mal et la souffrance

Le texte étant déjà assez long, je ne m’étendrai pas davantage avec un commentaire personnel sur la question. Toutefois, je reviendrai probablement dans un prochain article sur les réflexions de William Craig et les réponses qu’il proposait à certains arguments avancés par des athées concernant la comptabilité entre le mal lié à certains processus naturels et l’existence de Dieu.

En effet, sous son apparence triviale, cette question cache, à mon avis, de réels enjeux philosophiques concernant la question des rapports entre la nature et le Mal. Enjeux qui affectent directement la doctrine de la Création.

Cependant, pour en revenir à la question initiale, je pense donc que l’on peut, en tant que chrétien, se débarrasser des araignées ou des moustiques sans avoir de trop gros problèmes de conscience.

Néanmoins, pour l’anecdote, je me dois de signaler que les deux araignées que j’ai croisées, et qui sont la cause de cette réflexion tardive, ont disparu pendant que j’écrivais cet article. Elles ont donc la vie sauve… pour le moment.

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.