Introduction à la Bible : L’Exode et son Targum

Pour ce troisième article de la série « Voyage à travers la Bible », je traiterai de l’Exode et de son Targum. Comme pour la Genèse, je ferai d’abord une présentation littéraire du texte hébreu, puis j’évoquerai quelques particularités de la Septante et du Targum.

Une version vidéo est disponible en fin d’article. 

Le texte hébreu

L’oppression d’Israël en Egypte et la naissance de Moïse

A la fin de la Genèse, les fils d’Israël étaient montés en Egypte et ils avaient été accueillis favorablement par Pharaon, puisque l’un des fils, Joseph, était même devenu l’équivalent du «Premier Ministre» de l’Egypte.

Au début de l’Exode, la situation a radicalement changé. L’histoire commence « sous un Pharaon qui n’a pas connu Joseph ». Celui-ci a peur de l’accroissement des fils d’Israël et pense que c’est une menace pour son pouvoir. Pour limiter cet accroissement, il astreint les Israélites à de durs travaux de construction. Par ailleurs, il ordonne aussi le massacre des nouveaux nés mâles.

C’est dans ce contexte que naît Moïse. Pour le protéger sa mère le cache dans une corbeille et le dépose sur le Nil. Il est alors recueilli par la fille de Pharaon et élevé par elle dans la maison de Pharaon.

Devenu grand, Moïse visite les Hébreux qui travaillaient sur les chantiers de construction et tue un Egyptien qu’il avait surpris en train de frapper un Hébreu. Le lendemain, il découvre que la nouvelle s’est répandue. Il prend peur et décide de s’enfuir au pays de Madian. Là-bas, il épouse la fille d’un prêtre et passe de nombreuses années dans le désert comme berger au service de son beau-père.

La mission de Moïse en Egypte

Un jour, Dieu s’adresse à Moïse au travers d’un buisson qui brûle mais qui ne se consume pas, c’est le « buisson ardent ». Dieu lui demande d’aller délivrer le peuple hébreu, mais Moïse proteste et refuse. Il ne se sent pas capable d’accomplir une telle tâche. Dieu réalise plusieurs miracles pour le convaincre et l’autorise à prendre son frère Aaron comme adjoint, pour qu’il parle à sa place.

Moïse quitte Madian avec sa famille pour l’Egypte. C’est alors que se déroule un des épisodes les plus mystérieux de la Bible, qui rappelle toutefois un épisode de la Genèse, puisque Dieu Lui-Même essaye de tuer Moïse. Celui-ci est sauvé par sa femme, Séphora, qui circoncit le fils de Moïse.

Arrivé en Egypte, Moïse annonce au peuple sa mission et gagne la confiance des responsables. Il rencontre ensuite Pharaon et lui demande de libérer le peuple. Non seulement, Pharaon refuse, mais il rend les travaux encore plus durs. Auparavant, les Egyptiens fournissaient aux Hébreux les matériaux qui servaient à la fabrication des briques, dorénavant, les Hébreux doivent collecter eux-mêmes ces matériaux, tout en produisant toujours autant de briques.

La mission de Moïse semble être un échec total et la crédibilité de celui-ci est grandement compromise auprès du peuple.

L’Eternel annonce alors que Pharaon sera contraint de libérer le peuple suite à une manifestation de la puissance de Dieu. Ce sont les dix plaies d’Egypte. A chaque fois, Moïse rencontre Pharaon pour lui demander de libérer le peuple. Pharaon refuse et une plaie s’abat sur l’Egypte. Les dix plaies sont les suivantes (sachant que la traduction de « mouche » ou « moustique » est approximative).

  • Les eaux changées en sang
  • Invasion de grenouilles
  • Les moustiques
  • Les mouches
  • La mort des troupeaux égyptiens
  • Les furoncles
  • La grêle
  • Les sauterelles
  • Les ténèbres
  • La mort des premiers nés

Avant cette dixième plaie, Dieu instaure la fête de Pâque. L’étymologie de Pâque est discutée, le rédacteur rattache ce terme au verbe « passer ».

En effet, Dieu demande à chaque famille de sacrifier un agneau et de le manger. Avec le sang de l’agneau, ils doivent recouvrir les contours de la porte de leur maison. La nuit suivante, l’Ange de l’Eternel passe au travers tout le pays d’Egypte et tue les premiers-nés de chaque famille, sauf celles dont les maisons ont été marquées avec le sang, où il « passe au-dessus ». Suite à ce désastre, Pharaon ordonne au peuple hébreu de quitter l’Egypte. Les Hébreux se mettent en route, accompagnés de personnes d’autres peuples, et quittent le pays d’Egypte.

Pharaon change cependant très vite d’avis et se lance à leur poursuite avec son armée. C’est alors qu’intervient le fameux miracle de la « mer Rouge ». En réalité, le texte biblique ne précise pas quelle est la mer franchie et il est probable que ce soit plutôt un cours d’eau du Delta. Quoiqu’il en soit, le peuple hébreu passe à pieds les eaux qui se sont ouvertes en deux, mais lorsque Pharaon et son armée s’y engagent à leur tour, ces eaux se referment et toute l’armée égyptienne meurt noyée. Le peuple est donc sauvé de cette menace. A cette occasion, Myriam, la sœur de Moïse, entonne un cantique. Ce cantique date peut-être de l’époque même, puisque l’archaïsme de sa langue contraste fortement avec le style rédactionnel du narrateur de l’Exode.

Le peuple dans le désert

Dans la deuxième partie du livre, nous suivons ensuite les aventures du peuple dans le désert. S’il est débarrassé de ses ennemis, tous les problèmes ne sont pas terminés, bien au contraire. Il a tout d’abord soif. Dieu lui donne de l’eau, ainsi que les premières ordonnances. Il a ensuite faim. Dieu lui donne alors de la manne. Mais il se lasse et demande de la viande. Dieu lui donne alors des cailles.

Moïse reçoit ensuite la visite de son beau-père Jéthro. Voyant le travail de Moïse il lui suggère de diviser les tâches et de déléguer ses responsabilités. C’est ainsi que sont institués les juges. Les affaires sont réparties entre eux et Moïse ne s’occupe plus que des cas les plus difficiles pour lesquels il consulte l’Eternel. On voit aussi qu’à ce moment, l’ensemble du peuple devait être prêtre.

Une première série de lois est donnée, dont le fameux « Décalogue », les « Dix commandements ». Je ne détaille pas ces lois, car elles seront étudiées dans les prochains articles.

Moïse monte ensuite sur la montagne et s’isole pendant quarante jours pour recevoir de Dieu la Loi, ainsi que les ordonnances concernant la construction du sanctuaire et le culte (chapitres 24 à 31).

Toutefois, pendant ce temps-là le peuple, ne voyant plus Moïse revenir, demande à Aaron de fabriquer un veau d’or. Ce veau d’or n’était pas forcément un dieu étranger, mais plus probablement une représentation de YHWH. Cela provoque la colère de Dieu qui veut détruire le peuple. Moïse redescend de la montagne. Il ordonne la destruction du veau et appelle ceux qui sont zélés pour Dieu à châtier le peuple. Les Lévites rejoignent Moïse et tuent un grand nombre de personnes parmi le peuple. C’est à ce moment là que les Lévites sont choisis pour faire office de prêtres, à la place du peuple qui a perdu sa dignité suite au veau d’or. Après ce châtiment, Moïse intercède auprès de Dieu qui renonce alors à détruire le peuple.

Moïse retourne sur la Montagne et obtient de nouvelles tables de la Loi. A sa descente, le peuple commence à construire le sanctuaire de Dieu. Les derniers chapitres de l’Exode décrivent ces travaux, dont le rédacteur nous dit qu’ils sont menés avec zèle.

La Septante

Dans cette deuxième partie je présenterai quelques exemples de différences entre le texte rabbinique et la Septante, accompagnés d’un bref commentaire.

Exode 1 : 11

Texte rabbinique

Septante

« Et l’on établit sur lui (le peuple hébreu) des chefs de corvées, afin de l’accabler de travaux pénibles. C’est ainsi qu’il bâtit les villes de Pithom et de Ramsès, pour servir de magasins à Pharaon. »

« Et il leur assigna des chefs de travaux chargés de les maltraiter par des travaux pénibles. Ils bâtirent des villes fortes au Pharaon, celle de Pithôm, celle de Ramessê et celle d’Ôn, qui est la ville du Soleil. »

Le rédacteur de la Septante a rajouté une ville supplémentaire, « Ôn », qui était très connue à son époque.

Exode 4 : 6-7

Texte rabbinique

Septante

« L’Éternel lui dit encore: « Mets ta main dans ton sein ». Il mit sa main dans son sein; puis il la retira, et voici, sa main était couverte de lèpre, blanche comme la neige. L’Éternel dit: « Remets ta main dans ton sein ». Il remit sa main dans son sein; puis il la retira de son sein, et voici, elle était redevenue comme sa chair. »

« Mais le Seigneur lui dit encore : « Mets ta main dans ton sein. » Il mit sa main dans son sein ; puis il retira sa main de son sein, et sa main était devenue comme neige. Il dit « Mets de nouveau ta main dans ton sein. » Et il mit sa main dans son sein ; puis il la retira de son sein et, à l’inverse, elle avait été ramenée à la couleur de sa chair. »

Ici, la Septante supprime la mention de la lèpre. En effet, depuis l’époque perse (à partir du VIe siècle av. J.-C.), les Egyptiens avaient commencé à faire circuler leur propre version de l’Exode, dans laquelle les Hébreux étaient en fait des lépreux chassés par Pharaon.

Exode 6 : 20

Texte rabbinique

Septante

«  Amram prit pour femme Jokébed, sa tante; et elle lui enfanta Aaron, et Moïse. Les années de la vie d’Amram furent de cent trente-sept ans. »

« Ambram prit pour femme Iôkhabed, fille du frère de son père, et elle lui enfante Aaron, Moïse et Mariam leur sœur ; les années vécues par Ambram : cent trente-deux ans. »

Dans le Texte rabbinique, le père de Moïse est marié à sa tante, tandis que dans la Septante il est marié à sa cousine. Cette différence s’explique par le fait que la traducteur a voulu harmoniser ce passage avec la loi du Lévitique qui interdit le mariage avec sa tante.

On peut aussi noter que le rédacteur de la Septante a mentionné la soeur de Moïse.

Exode 12 : 40

Texte rabbinique

Septante

« Le séjour des enfants d’Israël en Égypte fut de quatre cent trente ans. »

« Le séjour que les fils d’Israël firent en séjournant dans le pays d’Egypte et dans le pays de Khanaan fut de quatre cent trente ans »

La Septante ajoute une précision. Les 430 ans ne doivent pas être comptés à partir de la descente en Egypte mais à partir du séjour en Canaan. On sait que c’est cette opinion qui prévaudra dans la tradition israélite, puis juive, comme je l’ai montré dans mon article sur la durée du séjour en Egypte.

Au delà, de ces changements, les derniers chapitres, décrivant la construction du sanctuaire sont organisés de manière très différente dans le texte hébreu et dans la Septante. Je vous propose un tableau récapitulatif de ces différences (tiré de la Bible d’Alexandrie) :

Exode 36-40

Targum

Dans cette troisième partie, je présenterai et commenterai trois textes du Targum qui permettront là encore de comprendre ce procédé.

Exode 2 : 13-14

Texte Rabbinique

Targum Palestinien

« Moïse sortit le jour suivant; et voici, deux Hébreux se querellaient. Il dit à celui qui avait tort: Pourquoi frappes-tu ton prochain? Et cet homme répondit: Qui t’a établi chef et juge sur nous? Penses-tu me tuer, comme tu as tué l’Égyptien? Moïse eut peur, et dit: Certainement la chose est connue. »

« Moïse sortit encore le second jour et observa. Et voici que Dathan et Abiram, hommes juifs, se querellaient. Quand il vit que Dathan levait la main sur Abiram pour le frapper, il lui dit : « Pourquoi frappes-tu ton compagnon ? » Et Dathan lui dit : « Quel est celui qui t’a constitué seigneur et juge sur nous ? Est-ce que tu as décidé de me tuer comme tu as tué l’Egyptien ? » Moïse prit peur et dit : « En vérité, la chose s’est divulguée. »

Dans le texte hébreu, les deux Hébreux qui se querellent sont anonymes. Dans le Targum, on les identifie à Datham et Abiram, deux personnes dont il sera ensuite fait mention dans l’histoire de Moïse.

Exode 12 : 40-41

Texte Rabbinique

Targum Palestinien

« Le séjour des enfants d’Israël en Égypte fut de quatre cent trente ans. Et au bout de quatre cent trente ans, le jour même, toutes les armées de l’Éternel sortirent du pays d’Égypte. »

« Les jours où les enfants d’Israël habitèrent en Egypte furent de trente semaines d’années, ce qui fait deux cent dix ans ; mais le nombre était de quatre cent trente ans depuis que Yahvé avait parlé à Abraham, depuis l’heure où il avait avec lui, le quinze de nisan, passé entre les morceaux, jusqu’au jour où ils sortirent d’Egypte. Et ce fut au terme des trente ans, qu’il y eut depuis la conclusion de ce pacte jusqu’à la naissance d’Isaac, et des quatre cents ans, qu’il y eut depuis le moment où naquit Isaac jusqu’à ce qu’ils sortirent, libérés d’Egypte, et ce fut ce jour même que toutes les armées de Yahvé sortirent, libérées, du pays d’Egypte. »

Le Targum reprend le développement de la Septante et l’explicite en donnant encore plus de détails sur le décompte des années.

Certains chrétiens, qui se sont amusés à calculer l’âge du monde à partir du calendrier biblique, sont étonnés de constater que leur calcul ne correspond pas au calendrier juif actuel et observent un écart de deux siècles.

La solution à ce problème se trouve ici. Alors que les chrétiens comptent un séjour en Egypte de 430 ans, celui-ci n’a duré que 210 ans pour la tradition juive (déjà attestée par la Septante et l’apôtre Paul), d’où la différence de deux siècles.

Exode 1 : 13-16

Texte rabbinique

Targum Palestinien

« Alors les Égyptiens réduisirent les enfants d’Israël à une dure servitude. Ils leur rendirent la vie amère par de rudes travaux en argile et en briques, et par tous les ouvrages des champs: et c’était avec cruauté qu’ils leur imposaient toutes ces charges. Le roi d’Égypte parla aussi aux sages-femmes des Hébreux, nommées l’une Schiphra, et l’autre Pua ; Il leur dit: Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux et que vous les verrez sur les sièges, si c’est un garçon, faites-le mourir; si c’est une fille, laissez-la vivre. »

« Et les Égyptiens réduisirent les enfants d’Israël en servitude, avec dureté, et ils leur rendirent la vie amère dans un dur travail, dans l’argile et les briques et toutes sortes de travaux dans la campagne, toutes sortes de travaux qu’on leur imposait avec dureté. Or Pharaon dit que tandis qu’il dormait il avait vu dans son songe que tout le pays d’Égypte était posé sur le plateau d’une balance et un agneau, le petit d’une brebis, sur l’autre plateau de la balance et le plateau où se trouvait l’agneau s’abaissait. Aussitôt il envoya quérir tous les magiciens d’Égypte et leur conta son songe. Immédiatement Jannès et Jambrès, chefs des magiciens, ouvrirent la bouche et dirent à Pharaon : « Un fils est destiné à naître dans l’assemblée d’Israël par le moyen de qui toute la terre d’Égypte est destinée à être dévastée ». C’est pourquoi Pharaon, le roi d’Égypte, avisa et dit aux accoucheuses juives – l’une avait pour nom Shiphrah, c’est Jokébéd, et le nom de la seconde était Pu’ah, c’est Miryam, sa fille – il dit : « Quand vous accoucherez les femmes juives, vous surveillerez le siège : si c’est un enfant mâle, vous le mettrez à mort et si c’est une fille, elle pourra vivre. »

Enfin, dans ce dernier passage, nous voyons que les deux accoucheuses sont identifiées à la mère et à la sœur de Moïse, tandis que les magiciens de Pharaon reçoivent des noms : Jannès et Jambrès. Ces deux noms ne sont jamais mentionnés dans le texte hébreu. En revanche, Paul les cite dans son épître à Timothée.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.