Jésus de Nazareth : Essence divine et nature humaine

La position que j’exposerai dans cet article est une variante du kénotisme, qui était une doctrine populaire dans les milieux évangéliques au XIXe siècle et a notamment été défendue par Frédéric Godet (1812-1900), qui était probablement le plus grand exégète évangélique de ce siècle. Cette doctrine est moins connue au XXe siècle, car elle a été rudement combattue par les théologiens calvinistes.

Toutefois, un examen minutieux des textes bibliques m’a conduit à la conviction que cette position kénotiste est bien plus fidèle aux Ecritures que la doctrine affirmée par le concile de Chalcédoine (451) et j’aimerais dans cet article vous exposer cela le plus clairement possible en insistant sur trois moments :

  • Avant l’incarnation
  • L’Incarnation
  • Après l’incarnation

Ainsi, si je devais définir la « nature » de Jésus, je dirais qu’il était d’essence divine mais de nature humaine. Contrairement aux partisans de Chalcédoine, qui affirment que Jésus était entièrement homme et entièrement Dieu, je ne mets donc pas sa divinité et son humanité au même niveau.

Je dis qu’il est d’essence divine, car Jésus n’est pas une créature comme nous, mais il est directement issu de Dieu. Toutefois, au moment de son incarnation, tout en conservant son identité divine (qui ne peut pas changer), il s’est dépouillé de tous ses attributs divins. Concrètement, cela signifie que sur Terre, Jésus a vécu pleinement et uniquement comme un homme.

Enfin, je montrerai en conclusion que cette doctrine n’est pas une simple réflexion intellectuelle mais qu’elle est importante pour notre salut et pour notre vie de croyant : si Jésus n’avait pas agi uniquement en tant qu’homme, il ne pourrait pas être notre modèle.

La préexistence divine de Jésus

Jésus n’est pas une créature comme nous, mais il préexistait auprès du Père. Voici quelques versets qui le montrent.

Les versets affirmant sa pré-existence et son origine divine

Le texte le plus connu est bien sûr le prologue de Jean :

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.  »

Mais on peut aussi citer d’autres textes :

« Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. » Jean 8 : 58

« Et maintenant toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût. » Jean 17 : 5

Nous verrons que les versets affirmant son incarnation confirment aussi ces propos.

Les prophéties de l’Ancien Testament appliquées à Jésus

Une deuxième preuve peut être avancée : l’usage que font les auteurs du Nouveau Testament des prophéties de l’Ancien Testament qu’ils appliquent à Jésus et qui, par conséquent, conduisent à identifier Jésus et YHWH.

Je donnerai pour cela un exemple. Matthieu commente la trahison de Juda, qui vient de vendre Jésus pour trente pièces d’argent, et affirme que cet acte accompli une prophétie de l’Ancien Testament :

« Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie le prophète : Ils ont pris les trente pièces d’argent, la valeur de celui qui a été estimé, qu’on a estimé de la part des enfants d’Israël »

Or si on se réfère au texte d’origine, on voit que cette prophétie s’applique à YHWH :

« YHWH me dit: Jette-le au potier, ce prix magnifique auquel ils m’ont estimé! Et je pris les trente sicles d’argent, et je les jetai dans la maison de l’Éternel, pour le potier. » Zacharie 11 : 13

Si les kénotistes (position que je défends) et les chalcédonistes sont d’accord pour affirmer que Jésus est issu de Dieu, leurs avis divergent concernant la définition de l’incarnation et par conséquent ses effets sur la personne de Jésus.

La kénose du Logos

Les chalcédonistes considèrent que l’incarnation a été un ajout, puisque la Parole de Dieu en venant sur Terre a conservé sa nature divine tout en recevant une nature humaine.

Je pense au contraire que l’incarnation a été un dépouillement, puisque le Logos, sans perdre son identité, a renoncé à ses attributs divins. Avant de voir les textes du Nouveau Testament qui affirment explicitement cela, il est toujours intéressant de se demander s’il existe d’autres parallèles dans la Bible, et la réponse est oui.

Le dépouillement de Nabuchadonosor

Il me semble que c’est l’histoire du roi de Babylone, Nabuchadonosor, qui fournit la meilleure analogie avec l’interprétation kénotiste de l’incarnation. Cette histoire nous est rapportée dans le quatrième chapitre du livre de Daniel.

Nabuchadonosor était un roi très orgueilleux. A cause de cet orgueil, il fut puni par Dieu qui lui ôta la raison humaine. Le roi de Babylone vécut donc, pendant un certain temps, comme un animal. Il est important de souligner que son identité n’avait pas changé et qu’il était toujours le roi de Babylone. Mais durant cette période de dépouillement, il ne possédait plus ses facultés humaines et se comportait seulement comme un animal.

Je pense que c’est exactement ce qu’a connu Jésus. Durant son abaissement, son identité divine n’a pas changé, mais il ne possédait plus ses facultés divines et a dû vivre sur Terre uniquement comme un homme.

L’enseignement de la kénose dans le Nouveau Testament

Le verset qui enseigne le plus explicitement ce dépouillement (kénose) est Philippiens 2 : 5-8 :

« Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé (kénose) lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. »

C’est d’ailleurs de ce passage que vient le terme de « kénotisme », puisque kénose est le verbe grec utilisé par Paul et traduit dans nos version par « dépouillé ».

Nous voyons que ce verset affirme en même temps la préexistence divine de Jésus et son dépouillement au moment de l’incarnation. D’autres passages viennent confirmer cette interprétation :

« Tu l’as abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, tu l’as couronné de gloire et d’honneur, Tu as mis toutes choses sous ses pieds. En effet, en lui soumettant toutes choses, Dieu n’a rien laissé qui ne lui fût soumis. Cependant, nous ne voyons pas encore maintenant que toutes choses lui soient soumises. Mais celui qui a été abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de la mort qu’il a soufferte, afin que, par la grâce de Dieu, il souffrît la mort pour tous. » Hébreux 2 : 7-9

« Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous fussiez enrichis. » 2 Corinthiens 8 : 9

Le verset de Corinthiens parle bien d’une perte. Or dans la doctrine chalcédoniste, il n’y a aucune perte, aucun dépouillement. Tout au plus Jésus cache sa gloire. Jésus ne se serait donc pas fait pauvre, mais seulement déguisé en pauvre.

Mais surtout le texte d’Hébreux affirme qu’il a été abaissé au-dessous des anges. Si Jésus avait conservé sa nature divine, comment l’auteur inspiré aurait-il pu affirmer qu’il avait été abaissé au-dessous des anges ? Cela n’aurait aucun sens. Là encore, nous voyons que ce passage appuie nettement l’idée d’un dépouillement : La Parole de Dieu, en venant sur Terre, a renoncé à ses attributs divins.

Jésus Essence Nature 2

Jésus sur Terre : pleinement et uniquement homme

Dans cette dernière partie, nous verrons que tout au long de son ministère et jusqu’à sa mort sur la croix, Jésus a toujours été pleinement et uniquement homme.

Jésus a vécu comme un homme

Jésus a partagé la condition humaine, il a grandi et a ressenti toutes nos émotions humaines, y compris l’angoisse :

« Or, l’enfant croissait et se fortifiait. Il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. (…) Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » Luc 2 : 40-52

« Après être sorti, il alla, selon sa coutume, à la montagne des Oliviers. Ses disciples le suivirent. Lorsqu’il fut arrivé dans ce lieu, il leur dit: Priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation. Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’environ un jet de pierre, et, s’étant mis à genoux, il pria, disant: Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. Étant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre. » Luc 22 : 39-44

On voit bien que de tels passages sont inapplicables à un Dieu-Homme. Si Jésus avait conservé sa nature divine, il n’aurait jamais pu croître en sagesse, ni ressentir de l’angoisse.

Jésus s’est présenté comme un homme

Jésus lui-même s’est clairement présenté comme un homme, aussi bien à la foule qu’à ses disciples. Aussi bien durant son ministère :

« Mais Jésus leur dit: Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents, et dans sa maison. » Marc 6 : 4

« Jésus lui dit: Pourquoi m’appelles-tu bon? Il n’y a de bon que Dieu seul. » Marc 10 : 18

 Qu’après sa résurrection et juste avant son ascension :

« Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Jean 20 : 17

Le parallèle est ici particulièrement fort : mon Père/ votre Père et mon Dieu/votre Dieu. Jésus ne revendique aucun statut particulier par rapport à ceux qu’il appelle ses frères.

« Mais il a dit au Fils: Ton trône, ô Dieu est éternel; le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité; tu as aimé la justice, et tu as haï l’iniquité; c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint d’une huile de joie au-dessus de tes égaux. » Hébreux 1 : 8-9

Les disciples ont reconnu et annoncé un homme

Jésus s’est présenté comme un homme et c’est comme un homme que ses disciples l’ont perçu. Ainsi, juste après sa résurrection, Jésus rencontre deux de ses disciples, qui ne le reconnaissent pas tout de suite, et qui lui racontent ce qui vient de se produire (la crucifixion de Jésus) :

« L’un des disciples, nommé Cléopas, dit à Jésus (Ndl : Cléopas n’a pas encore reconnu que l’homme à qui il parle est Jésus) : Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours-ci?

– Quoi? Jésus demande-t-il.

-Et ils lui répondirent: Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l’on livré pour le faire condamner à mort et l’ont crucifié. Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël; mais avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes d’entre nous nous ont fort étonnés; s’étant rendues de grand matin au sépulcre et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leurs sont apparus et ont annoncé qu’il est vivant.  Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au sépulcre, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit; mais lui, ils ne l’ont point vu. » Luc 24 : 18-24

Après l’ascension (la montée de Jésus au ciel), ses disciples commencent à prêcher aux foules. Le premier discours connu est celui de Pierre qui résume l’Evangile ainsi :

« Hommes Israélites, écoutez ces paroles! Jésus de Nazareth, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu’Il a opérés par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes; cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l’avez crucifié, vous l’avez fait mourir par la main des impies. Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle. » Actes 2 : 22-24

Là encore, nous constatons que c’est bien Jésus homme qui est prêché. Nulle trace d’un Dieu-Homme ou d’un Homme-Dieu.

C’est en tant qu’homme qu’il a accompli l’œuvre du salut

Si les disciples insistent tant sur l’humanité de Jésus, c’est bien parce que celui-ci a accompli toute l’œuvre du salut en tant qu’homme, et uniquement en tant qu’homme. C’est ce point qui dérange le plus les théologiens calvinistes. Pourtant les propos de l’apôtre Paul, nous fournissent une preuve irréfutable :

« Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils aient à se repentir, parce qu’il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu’Il a désigné, ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts… » Actes 17 : 30-31

« Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ homme » 1 Timothée 2 : 5

Paul nous dit que c’est en tant qu’homme que Jésus est médiateur et juge. Or ces deux fonctions découlent de son œuvre sur la croix. C’est parce que Jésus est mort pour nous sur la croix, qu’il peut être notre médiateur et notre juge.

Si Jésus avait accompli l’œuvre de la croix en tant que Dieu-Homme, alors c’est Jésus-Christ Dieu-Homme qui serait notre médiateur et notre juge. Mais l’apôtre Paul dit explicitement le contraire. Non seulement, il ne parle jamais du Dieu-Homme, mais il ne dit même pas simplement Jésus-Christ, ce qui laisserait subsister une certaine ambiguïté. Non, il prend soin de préciser Jésus-Christ homme. Pourquoi une telle précision ? Justement pour ne laisser aucun doute possible : c’est uniquement en tant qu’homme que Jésus a accompli l’œuvre du salut.

Cela est d’ailleurs parfaitement logique et cohérent avec le reste de la doctrine. Puisque le péché est survenu à cause d’un homme, et non d’un Dieu-homme, il était nécessaire que ce soit un homme, et non un Dieu-Homme, qui le répare :

«  C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché, (…) car, si par l’offense d’un seul il en est beaucoup qui sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce venant d’un seul homme, Jésus Christ, ont-ils été abondamment répandus sur beaucoup. » Romains 5 : 12-15

Conclusion : l’importance de cette doctrine dans la vie du croyant

En conclusion, nous pouvons dire que Jésus devait être pleinement et uniquement humain pour nous servir de modèle à nous les hommes :

« En conséquence, il a dû être rendu semblable en toutes choses à ses frères, afin qu’il fût un souverain sacrificateur miséricordieux et fidèle dans le service de Dieu, pour faire l’expiation des péchés du peuple; car, ayant été tenté lui-même dans ce qu’il a souffert, il peut secourir ceux qui sont tentés. » Hébreux 2 : 17-18

Si Jésus n’avait pas été uniquement un homme, nous ne pourrions pas lui obéir. Jésus se présente lui-même et est présenté par ses disciples comme notre modèle.

Si Jésus avait agi en tant que Dieu-Homme, comme l’enseignent les chalcédonistes, comment pourrait-il nous servir d’exemple à nous qui ne sommes que des hommes ?

« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais au Père » Jean 14 : 12

« Et c’est à cela que vous avez été appelés, parce que Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces » 1 Pierre 2 : 21

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.