La Croix et le pardon

Je continue cette série de réflexions sur le sacrifice de Jésus en abordant la question du pardon.

Le sacrifice de Jésus et le pardon de Dieu

Certains chrétiens croient que le pardon de Dieu dépend de l’œuvre de Jésus sur la croix et que si Jésus n’était pas mort, Dieu ne pourrait pas nous pardonner. Le verset avancé est souvent Hébreux 9 : 22 , mal compris.

A titre personnel, je pense que cette fausse conception du pardon est un héritage de la théorie de la satisfaction promue par Anselme et de la théorie de la substitution pénale que j’avais critiquée précédemment. Toutefois, pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître que les théologiens les plus pointus, comme John Owen, ne font pas cette confusion. Ainsi dans son ouvrage The Death of Death in the Death of Christ , John Owen écrit :

On avance parfois l’argument que Christ est mort afin de fournir à Dieu l’occasion de pardonner aux pécheurs, comme s’il avait été impossible à Dieu de nous pardonner autrement. Une telle allégation suggère que la mort de Christ avait comme objectif secondaire de favoriser les intérêts du Père. Cette idée est à la fois fausse et insensée pour les raisons suivantes :

  1. Elle implique que Christ serait mort non pour nous libérer du péché, mais plutôt pour affranchir Dieu le Père de ce qui aurait pu l’empêcher d’agir librement (c’est-à-dire : pardonner aux pécheurs). L’Ecriture dit clairement que Christ est mort afin de nous libérer du péché.

  2. Elle sous-entend qu’il soit possible que personne ne soit véritablement délivré du péché. Si Christ n’a obtenu que la seule liberté du Père de pardonner aux pécheurs, le Père peut alors décider ou non d’user de cette liberté ! La mort de Christ pourrait par conséquent ne pas nous sauver. L’Ecriture dit clairement que Christ est effectivement venu sauver les perdus.

John Owen évoque bien le problème central de cette idée. Croire que Dieu aurait besoin du sacrifice de Jésus pour nous pardonner sous-entend que Dieu serait dépendant d’un sacrifice pour pardonner aux hommes. Mais une telle idée porte atteinte à la souveraineté de Dieu. Dieu est souverain et pardonne qui Il veut sans que l’on puisse exiger de lui quoique ce soit. Toutefois, Lui-même fixe ses propres conditions pour nous accorder son pardon. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Les conditions du pardon

Si nous examinons les différents textes du Nouveau Testament nous voyons que Dieu a fixé deux conditions principales pour le pardon : la pratique du pardon et la repentance.

La pratique du pardon

Jésus a dit « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes » (Matthieu 7 : 12).

Cette règle d’or est valable dans beaucoup de domaines, mais Jésus insiste particulièrement sur ce point lorsqu’il est question du pardon. Nous pouvons constater cela dans la prière dite du « Notre Père » :

« … pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » Matthieu 6 : 12

Celui qui prie ainsi, déclare bien que le pardon que Dieu lui accorde dépend du pardon que lui-même accorde à ceux qui l’ont offensé. Au cas où cela ne serait pas assez clair, Jésus reprend à nouveau cette idée après la prière pour insister :

«  Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. » Matthieu 6 : 14-15

Il est difficile d’être plus explicite ! Malheureusement, pour diverses raisons, beaucoup de chrétiens sous-estiment et négligent ces paroles de Jésus, jugeant que Dieu nous pardonnera en vertu du sacrifice de Jésus, même si nous-mêmes nous ne pardonnons pas aux autres. Simplement, « nous perdrons notre récompense ». Une telle idée est pourtant absolument contraire aux Ecritures.

L’enseignement biblique concernant la nécessité du pardon se retrouve aussi dans une parabole proposée par Jésus :

« C’est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Quand il se mit à compter, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’il fût vendu, lui, sa femme, ses enfants, et tout ce qu’il avait, et que la dette fût acquittée. Le serviteur, se jetant à terre, se prosterna devant lui, et dit: Seigneur, aie patience envers moi, et je te paierai tout. Ému de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller, et lui remit la dette. 

Après qu’il fut sorti, ce serviteur rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent deniers. Il le saisit et l’étranglait, en disant: Paie ce que tu me dois. Son compagnon, se jetant à terre, le suppliait, disant: Aie patience envers moi, et je te paierai. Mais l’autre ne voulut pas, et il alla le jeter en prison, jusqu’à ce qu’il eût payé ce qu’il devait.

Ses compagnons, ayant vu ce qui était arrivé, furent profondément attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.  Alors le maître fit appeler ce serviteur, et lui dit: Méchant serviteur, je t’avais remis en entier ta dette, parce que tu m’en avais supplié; ne devais-tu pas aussi avoir pitié de ton compagnon, comme j’ai eu pitié de toi? Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il eût payé tout ce qu’il devait. 

C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son coeur. » Matthieu 18 : 23-35.

Nous voyons ici que le roi (qui représente Dieu) accorde à son serviteur une remise de dette (ce qui représente le pardon des offenses). Mais lorsque le roi apprend que ce serviteur refuse d’agir de la même façon avec la personne qui a une dette envers lui, il revient sur sa décision et annule cette remise de dette.

Cette parabole illustre parfaitement les déclarations de Jésus que nous devons d’étudier : le pardon que Dieu nous accorde dépend du pardon que nous accordons aux autres.

Croix et pardon 2

La repentance

La deuxième condition du pardon est de regretter la faute et avoir la volonté de changer notre comportement. Lorsque nous avons connaissance d’un péché nous devons le confesser à Dieu et changer d’attitude, c’est ce qu’explique Jean :

« Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité. » 1 Jean 1 : 9

Cette vérité biblique se retrouve là encore dans une autre parabole racontée par Jésus :

« Il dit encore cette parabole, en vue de certaines personnes se persuadant qu’elles étaient justes, et ne faisant aucun cas des autres: Deux hommes montèrent au temple pour prier; l’un était pharisien, et l’autre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel; mais il se frappait la poitrine, en disant: O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur. Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre. Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. » Luc 18 : 9-14

Le pharisien est un religieux qui respecte bien mieux la Loi que le publicain. Mais cette confiance en lui-même l’empêche de voir ses propres fautes. Le publicain au contraire est conscient de ses propres péchés et les confesse à Dieu pour implorer Son pardon, pardon que Dieu lui accorde.

Deux objections

Avant de conclure je souhaite revenir sur deux objections qui peuvent être faites à ce que je viens de dire.

a) La première concerne le verset d’Hébreux 9 : 22. Ce verset n’implique-t-il pas que le pardon nécessite un sacrifice ? En réalité, il suffit de regarder les autres versets pour voir qu’il n’est jamais question d’un quelconque sacrifice. La réponse se trouve d’ailleurs dans le verset lui-même : « Et presque tout, d’après la Loi, est purifié avec du sang, et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon. » L’auteur se place dans le cadre de la Loi de Moïse qui lie effectivement le pardon et le sang. Mais ce cadre n’a qu’un but pédagogique, faire prendre conscience aux Israélites de la gravité du péché.

b) La deuxième objection concerne les péchés inconscients. Comment pouvons-nous confesser un péché si nous ne savons que nous avons péché ? Il est intéressant de constater que dans la Loi de Moïse les sacrifices n’étaient destinés qu’aux péchés involontaires. Dans un vocabulaire juridique actuel, nous dirions que les sacrifices concernaient les péchés dont nous ne sommes pas pénalement responsables.

C’est pour cela que nous devons aussi demander à Dieu de nous pardonner les péchés que nous ignorons. Par ailleurs, si nous cherchons réellement à plaire à Dieu, je ne doute pas un seul instant qu’Il nous éclairera au fur et à mesure de notre marche chrétienne et nous révèlera tous ces « péchés cachés » afin que nous puissions nous repentir et nous en détourner.

Conclusion

En conclusion, nous pouvons dire que le pardon des offenses que nous commettons contre Dieu est lié à deux conditions :

  • Pardonner ceux qui m’ont offensé
  • Se repentir. Ce qui implique de confesser son péché et de s’en détourner.

Enfin, il faut bien distinguer le pardon et la réparation. Le fait que nous soyons pardonnés, ne veut pas dire que nous ne devons pas réparer notre péché. Si notre péché a causé du tort à quelqu’un, nous devons aussi faire en sorte que ce tort soit réparé.

Note

(1) Version française abrégée : John Owen, La vie par sa mort, Montréal, 2010, p. 34-.35 (Deuxième partie, chapitre 2).

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.