L’Epître de Clément de Rome aux Corinthiens

Présentation générale

Cette épître est un des plus anciens textes chrétiens en dehors de la Bible. Datée généralement de la fin du Ier siècle (année 96), elle est peut-être en réalité antérieure (fin des années 60 ?).

Elle occupe une place intermédiaire entre les écrits bibliques et les écrits patristiques, puisqu’elle a parfois été lue publiquement dans les Eglises, comme l’atteste Eusèbe, et qu’elle figure à la suite des livres du Nouveau Testament dans l’Alexandrinus, un des plus anciens manuscrits bibliques.

L’auteur

L’épître est attribuée à Clément de Rome. Toutefois nous voyons que dans le texte lui-même, c’est toujours le pluriel (« nous ») qui est utilisé et que l’introduction présente cette lettre comme venant des responsables de l’Eglise de Rome. Ces deux données ne sont pas forcément contradictoires. Il est possible que Clément ait rédigé cette lettre au nom des anciens.

Par ailleurs, il est aussi très probable que l’auteur de cette lettre soit le Clément mentionné par Paul en Philippiens 4 : 3. Quoiqu’il en soit, il est certain que ceux qui ont rédigé cette lettre ont directement connu les apôtres et ont certainement été institués par eux à la tête de l’Eglise de Rome.

Il n’est par ailleurs pas impossible que l’auteur de cette lettre soit aussi le rédacteur de l’Epître aux Hébreux. C’est en tout cas une hypothèse personnelle que j’exposerai dans un prochain article.

Contexte

L’Eglise de Corinthe connaît des troubles importants. De ce que nous pouvons apprendre par allusions, il semble qu’au sein de cette Eglise, un groupe ait entrainé les membres à rejeter leurs dirigeants, qui avaient peut-être commis une, ou plusieurs, erreur(s).

Les responsables de l’Eglise de Rome, dont Clément est le porte-parole, invitent les Corinthiens à se repentir et à cesser leur rébellion contre leurs dirigeants.

Plan de l’ouvrage

L’édition moderne est découpée en 65 sections. De 1 à 3 : l’occasion de la lettre. De 4 à 21 : les vertus à pratiquer. De 22 à 36 : fidélité de Dieu et de l’homme. De 37 à 44 : la discipline communautaire. De 45 à 59 : la nécessité de régler le conflit. De 59 à 61 : la grande prière. De 62 à 65 : conclusion.

Extraits

Je vous propose maintenant quelques extraits de cette lettre (en vert), accompagnés parfois d’un commentaire de ma part (en noir).

Introduction de la lettre 

« L’Eglise de Dieu qui séjourne à Rome à l’Eglise de Dieu qui séjourne à Corinthe, à ceux qui ont été appelés et sanctifiés dans la volonté de Dieu, par Notre Seigneur Jésus-Christ. Que la grâce et la paix vous soient données du Dieu Tout-Puissant par le Christ Jésus en abondance ! »

Conclusion de la lettre :

« Rendez-nous promptement, en paix et joie, les messagers que nous vous avons envoyés : Claudius Ephebus et Valerius Biton avec Fortunatus, afin qu’ils nous annoncent au plus vite la paix et la concorde si désirables et si désirées par nous, et que nous nous réjouissions, nous aussi, au plus tôt du bon ordre parmi vous.
Que la grâce de notre Seigneur Jésus soit avec vous et avec tous les élus que Dieu a appelés en tout lieu par lui, à qui soit l’honneur, la gloire, la puissance et la majesté, le trône éternel, depuis le commencement jusqu’à la fin des siècles. Amen. » (1)

Inspiration de la lettre

« Vous nous causerez joie et allégresse, si vous obéissez à ce que nous vous avons écrit par le Saint-Esprit, et si vous mettez une fin aux ressentiments coupables que votre rivalité a fait naître, selon les invitations à la paix et à la concorde, que nous vous faisons dans cette lettre. » (2)

On remarque la grande ressemblance de style entre cette lettre et les lettres apostoliques du Nouveau Testament. Cette proximité est renforcée par le fait que, contrairement à d’autres auteurs qui marquent clairement une distance entre leurs écrits et le Nouveau Testament, les auteurs de l’épître affirment de leur côté écrire sous l’inspiration du Saint-Esprit.

Prière en faveur des autorités civiles

« Donne-nous la concorde et la paix, à nous et à tous les habitants de la terre, comme tu les as données à nos pères lorsqu’ils invoquaient ton nom dans la foi et la vérité. Et pour cela rends-nous soumis à ton nom tout-puissant et très saint, ainsi qu’à ceux qui nous gouvernent et nous dirigent sur la Terre.

C’est Toi, Seigneur, qui leur as donné le pouvoir d’exercer leur autorité, par ta force magnifique et ineffable, afin que sachant que c’est de toi qu’ils ont reçu leur gloire et leur honneur où nous les voyons, nous leur soyons soumis, bien loin de nous opposer à ta volonté. Donne-leur donc, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité, afin qu’ils exercent sans obstacle la souveraineté que tu leur as confiée. Car c’est toi, Maître, Roi des Cieux pour les siècles, qui donne aux fils des hommes, la gloire et l’honneur et le pouvoir sur les choses de la Terre. Toi donc, dirige leur conseil selon ce qui est bien et agréable à tes yeux, afin qu’en exerçant dans la paix, la mansuétude, avec piété, l’autorité que tu leurs as donnée, ils obtiennent ta grâce.

Toi seul peux faire ces choses et nous accorder de bien plus grandes encore,

Nous t’en rendons grâces par le grand prêtre et le chef de nos âmes, Jésus-Christ, par qui gloire et magnificence soit à Toi, maintenant, de génération en génération, et dans les siècles des siècles. Amen. » (3)

A la fin de l’épître, les auteurs adressent une longue prière à Dieu, dont une partie est consacrée aux autorités civiles. Il faut se souvenir qu’au moment de la rédaction, l’autorité suprême est un empereur païen hostile aux chrétiens (probablement Néron ou Domitien).

Judith et Esther

« Nous savons que beaucoup des nôtres se sont volontairement constitués prisonniers pour en délivrer d’autres de leurs fers. Beaucoup aussi se sont vendus comme esclaves pour en faire subsister d’autres avec l’argent. Plus d’une femme, rendue forte par la charité de Dieu, a accompli des exploits dignes d’un homme.

La bienheureuse Judith, voyant qu’on faisait le siège de sa ville, sollicita des Anciens qu’on la laisse aller dans le camp ennemi ; s’exposant volontairement au danger, elle sortit de la ville, par amour pour la patrie et pour son peuple assiégé. Et le Seigneur livra Holopherne entre les mains d’une femme.

Esther, à la foi si parfaite, n’encourut pas un moindre péril pour sauver les douze tribus d’Israël d’une mort imminente. Elle supplia, dans le jeûne et l’humiliation, le Maître qui voit tout, le Dieu de tous les siècles, et lui, voyant l’humilité de son âme, sauva le peuple pour l’amour de qui elle s’était exposée à la mort. » (4)

Tout au long de son épître, Clément s’appuie de nombreux exemples tirés de l’Ancien Testament. Il est intéressant de constater qu’il mentionne ici deux femmes : Judith et Esther. Comme beaucoup de chrétiens de l’Antiquité, il semble donc accorder le même statut à ces deux livres.

L’aveu des fautes et le pardon des péchés

« Il n’a besoin de rien, frères, le Maître de toutes choses, il ne demande rien à personne, sinon l’aveu des fautes. David, son élu, dit en effet : « Je confesserai à Dieu mes fautes, cela plaira au Seigneur plus qu’un jeune taureau avec corne et sabots. A cette vue, les humbles se réjouiront ». Et encore : « Offre à Dieu un sacrifice d’action de grâces, accomplis tes vœux pour le Très-Haut. Appelle moi au jour de l’angoisse, je t’affranchirai et tu me rendras gloire. Le sacrifice pour Dieu, c’est un esprit brisé. » (5)

L’institution des évêques et des diacres

« Les Apôtres nous ont annoncé la bonne nouvelle de la part de Jésus-Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les Apôtres du Christ. Cette double mission elle-même avec son ordre vient donc de la volonté de Dieu. Munis des instructions de Notre Seigneur Jésus-Christ, pleinement convaincus par sa résurrection, et affermis dans leur foi en la parole de Dieu, les Apôtres allaient tout remplis de l’assurance que donne le Saint-Esprit, annoncer partout la Bonne Nouvelle de la venue du Royaume des cieux. A travers les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices, et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. Et ce n’était pas là chose nouvelle : depuis de longs siècles déjà l’Ecriture parlait des évêques et des diacres ; elle dit en effet : « J’établirai leurs évêques dans la justice, et les diacres dans la foi. » (6)

Cette citation est intéressante à deux titres. Nous voyons qu’à l’époque de cette lettre, l’Eglise de Rome n’était pas encore dirigée par un épiscopat monarchique avec une hiérarchie à trois étages (un évêque, des prêtres et des diacres), mais que c’était toujours le modèle à deux étages attesté dans le Nouveau Testament qui prévalait avec des évêques (au pluriel) et des diacres, le terme de « presbytre » étant synonyme d’évêque.

« Paul et Timothée, serviteurs de Jésus Christ, à tous les saints en Jésus Christ qui sont à Philippes, aux évêques et aux diacres » Philippiens 1 : 1

« Cette parole est certaine: Si quelqu’un aspire à la charge d’évêque, il désire une oeuvre excellente. Il faut donc que l’évêque soit irréprochable, mari d’une seule femme, sobre, modéré, réglé dans sa conduite, hospitalier, propre à l’enseignement. Il faut qu’il ne soit ni adonné au vin, ni violent, mais indulgent, pacifique, désintéressé. Il faut qu’il dirige bien sa propre maison, et qu’il tienne ses enfants dans la soumission et dans une parfaite honnêteté; car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Église de Dieu? Il ne faut pas qu’il soit un nouveau converti, de peur qu’enflé d’orgueil il ne tombe sous le jugement du diable. Il faut aussi qu’il reçoive un bon témoignage de ceux du dehors, afin de ne pas tomber dans l’opprobre et dans les pièges du diable. Les diacres aussi doivent être honnêtes, éloignés de la duplicité, des excès du vin, d’un gain sordide, conservant le mystère de la foi dans une conscience pure. Qu’on les éprouve d’abord, et qu’ils exercent ensuite leur ministère, s’ils sont sans reproche. Les femmes, de même, doivent être honnêtes, non médisantes, sobres, fidèles en toutes choses. Les diacres doivent être maris d’une seule femme, et diriger bien leurs enfants et leurs propres maisons;  car ceux qui remplissent convenablement leur ministère s’acquièrent un rang honorable, et une grande assurance dans la foi en Jésus Christ. » 1 Timothée 3 : 1-13.

Deuxièmement, cet extrait illustre bien la manière dont Clément utilise les citations bibliques. Le texte qu’il cite est très différent de ce que nous trouvons actuellement dans nos bibles. Cette différence s’explique par un double changement résumé dans ce tableau :

Texte hébreu

Septante Citation de Clément
« Je ferai régner sur toi la paix, et dominer la justice. » « Et j’établirai tes chefs (archontes) dans la paix et tes surveillants (« évêques ») dans la justice »

« J’établirai leurs évêques dans la justice, et les diacres dans la foi. »

Le premier changement provient de la Septante qui introduit des personnes, les « archontes » et les « surveillants », dont le terme grec est « episcopos », ce qui a donné le mot « évêque », alors que le texte hébreu ne parlait que de qualités (la paix et la justice).

Le deuxième changement provient de Clément lui-même qui reprend la citation mais la modifie quelque peu en remplaçant « chefs » par « diacres », ce qui lui permet de retrouver la hiérarchie ecclésiastique présente à son époque.

Notes

(1) LXV, 1-2.

(2) LXIII, 2.

(3) LX, 4-LXI, 3.

(4) LV, 2-6.

(5) LII, 1-3.

(6) XLII, 1-5.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.