La Lettre à Diognète a une histoire mouvementée. Nous connaissons ce texte par un manuscrit qui se trouvait à Constantinople, au milieu d’une poissonnerie, vers 1436. C’est là qu’il a été acheté par un jeune clerc latin qui l’a ensuite cédé à un légat du concile de Bâle qui séjournait alors en ville. De retour à Bâle, ce légat a ensuite légué ce manuscrit qui est passé de mains en mains, jusqu’à atterrir dans la bibliothèque municipale de Strasbourg, où il fut malheureusement détruit lors de la guerre de 1870.
Entretemps, plusieurs copies avaient cependant pu être effectuées et ce sont elles qui servent aujourd’hui à l’édition de ce texte. Cette aventure nous rappelle la fragilité des œuvres anciennes.
Auteur et date
Henri Irénée Marrou, qui a traduit, édité et commenté le texte dans la collection « Sources chrétiennes », propose d’attribuer cette lettre à Pantène, le maître de Clément d’Alexandrie. Quant à Diognète, il pourrait s’agir d’un procurateur équestre qui était alors en poste en Egypte à cette époque et qui est connu par plusieurs attestations épigraphiques. C’est une hypothèse possible, mais il n’y a aucune certitude. Il est cependant assez probable que ce texte date effectivement de la fin du 2e siècle ou du début du 3e siècle.
But et plan de la lettre
Cette lettre est en fait une apologie qui a pour but de présenter la religion chrétienne. L’auteur commence donc par montrer en quoi celle-ci se distingue du paganisme et du judaïsme, puis il en expose les fondements essentiels. Il insiste en particulier sur la divinité de Jésus et sur le plan de salut prévu par Dieu, ainsi que sur les conséquences de celui-ci dans la vie du croyant.
Je vous propose pour terminer trois extraits. Le premier concerne les sacrifices judaïques, le deuxième aborde la question du ritualisme. Enfin, le troisième est l’extrait le plus connu de cette lettre et présente les rapports entre les chrétiens et le monde.
Extraits
L’inutilité des sacrifices judaïques
« J’en viens maintenant à ce qui distingue le culte chrétien de celui des Judéens : c’est, je crois, ce que tu désires surtout apprendre. Quand les Judéens s’abstiennent de l’idolâtrie dont je viens de parler, ils ont certes bien raison de croire en un Dieu unique et de le vénérer comme maître de l’univers.
Mais, quand suivant l’exemple des païens dont je viens de parler, ils lui rendent le même genre de culte, ils sont dans l’erreur. En faisant de telles offrandes à des idoles insensibles et sourdes, les Grecs manquent de bon sens ; les Judéens, qui les présentent à Dieu en s’imaginant qu’Il en a besoin, devraient bien plutôt penser que c’est là extravagance et non piété.
Car celui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment, qui nous donne gracieusement à tous ce dont nous avons besoin, ne saurait Lui-Même avoir besoin de ces biens qu’Il accorde Lui-Même à ceux qui s’imaginent les lui donner. A coup sûr, ceux qui s’imaginent lui rendre un culte par le sang, la graisse fumante et les holocaustes et l’honorer par de telles cérémonies, ne me paraissent en rien différer de ceux qui déploient la même libéralité à l’égard d’idoles sourdes qui ne peuvent prendre part à ces honneurs. » (1)
La vanité du ritualisme religieux
« Quant à leur crainte scrupuleuse concernant la nourriture, leur superstition au sujet du sabbat, l’orgueil qu’ils tirent de la circoncision, la fausse humilité de leur jeûne et des néoménies, choses ridicules et indignes de mention, je suppose que tu n’as pas besoin que je t’en instruise.
En effet, parmi les créatures que Dieu a faites pour l’usage des hommes, accueillir les unes comme réussies, rejeter les autres comme inutiles et superflues, comment cela peut-il être permis ? Accuser Dieu de défendre d’accomplir une bonne action, n’est-ce pas impie ? Tirer vanité d’une mutilation charnelle comme d’un signe d’élection, comme si cela les faisait tout particulièrement aimer de Dieu, n’est-ce pas ridicule ? Quant à surveiller le cours des astres et de la lune pour régler l’observance des mois et des jours, quant à distribuer selon leurs propres désirs les plans divins et les vicissitudes des temps en jours de fêtes et de pénitence, est-ce faire preuve de piété ? N’est-ce pas bien plutôt de la sottise ?
C’est donc bien avec raison que les chrétiens s’abstiennent de la légèreté et de l’erreur générales comme du ritualisme indiscret et de l’orgueil des Judéens. Je suppose t’en avoir assez appris là-dessus. » (2)
Le chrétien et le monde
« Car les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère, leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la Terre, mais sont citoyens du ciel. » (3)
Notes
(1) Anonyme, Lettre à Diognète, III.
(2) Anonyme, Lettre à Diognète, IV.
(3) Anonyme, Lettre à Diognète, V.
Bibliographie
A Diognète, (trad. H.-I. Marrou), Paris, Le Cerf, 1951.