Il y a quelques mois, j’avais commencé une série d’articles pour présenter les Pères de l’Eglise, c’est-à-dire les écrivains chrétiens des premiers siècles. Après un temps de pause, je reprends cette série.
L’auteur
Ignace est le responsable de la communauté chrétienne d’Antioche à la fin du 1er et au début du 2e siècle. D’après la tradition rapportée par Eusèbe, c’est le deuxième successeur de Pierre qui était considéré comme le fondateur de la communauté d’Antioche. Ignace a donc peut-être connu certains apôtres, ou au moins leurs disciples.
Les lettres ont vraisemblablement été écrites dans les années 110. Ignace vient tout juste d’être arrêté et est en route pour Rome où il mourra en martyr. Il profite du chemin pour écrire à différentes communautés chrétiennes.
Les lettres
Aujourd’hui, les historiens reconnaissent de lui sept lettres comme authentiques. Six sont adressés à des Eglises (aux Ephésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Romains, aux Philadelphiens et aux Smyrniotes) et une à un individu, Polycarpe, qui est l’évêque de Smyrne et dont je parlerai dans le prochain article.
La théologie d’Ignace d’Antioche
On peut, à partir de ces lettres, esquisser quelques lignes de la théologie d’Ignace d’Antioche. Celui-ci insiste avant tout sur l’unité de l’Eglise. Cette unité est assurée par la cohésion de chaque Eglise locale autour de son évêque qui préside l’Eucharistie.
Ignace est le premier à attester de la hiérarchie à trois étages et de l’épiscopat monarchique. Il n’en est cependant pas l’inventeur, puisqu’il semble que cette forme d’organisation soit déjà répandue dans les différentes Eglises d’Asie Mineure auxquelles il s’adresse.
Le but de cette unité est de combattre les fausses doctrines et en particulier les docètes qui nient la réalité de la chair de Jésus et de sa mort physique. Ignace insiste donc sur ce point et se sert pour cela du martyre comme argument. C’est aussi dans ce cadre qu’il affirme l’importance de l’eucharistie et sa réalité.
Extraits
Pour terminer, je vous propose quelques extraits qui illustrent les points que j’ai mentionnés.
Unité de l’Eglise autour de l’évêque
« Aussi convient-il de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque, ce que d’ailleurs vous faites. Votre presbyterium justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l’évêque comme les cordes à la cithare ; ainsi, dans l’accord de vos sentiments et l’harmonie de votre charité, vous chantez Jésus-Christ. Que chacun de vous aussi, vous deveniez un chœur, afin que l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantier d’une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père, afin qu’il vous écoute et qu’il vous reconnaisse, par vos bonnes œuvres, comme les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous d’être dans une inséparable unité, afin de participer toujours à Dieu.
Si en effet, moi-même j’ai en si peu de temps contracté avec votre évêque une telle intimité, qui n’est pas humaine, mais toute spirituelle, combien plus je vous félicite de lui être si profondément unis, comme l’Eglise l’est à Jésus-Christ, et Jésus-Christ au Père, afin que toutes choses soient en accord dans l’unité. Que personne ne s’égare ; si quelqu’un n’est pas à l’intérieur du sanctuaire, il se prive du pain de Dieu. Car si la prière de deux personnes ensemble a une telle force, combien plus celle de l’évêque et de toute l’Eglise. Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là déjà fait l’orgueilleux et il s’est jugé lui-même, car il est écrit : « Dieu résiste aux orgueilleux ». Ayons donc soin de ne pas résister à l’évêque pour être soumis à Dieu. » (1)
La hiérarchie locale
« Ainsi, puisque dans les personnes que j’ai nommées plus haut, j’ai dans la foi vu et aimé toute votre communauté, je vous en conjure, ayez à cœur de faire toutes choses dans une divine concorde, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de Dieu, des presbytres qui tiennent la place du sénat des apôtres, et des diacres qui me sont si chers, à qui a été confié le service de Jésus-Christ, qui avant les siècles était près de Dieu, et s’est manifesté à la fin. » (2)
Ici Ignace évoque la succession apostolique. Toutefois, on notera que pour lui celle-ci ne concerne pas l’évêque, mais les prêtres. Cela n’est pas anodin car Ignace insiste sur la collégialité, puisqu’il parle du « sénat des apôtres ».
L’importance de l’Eucharistie et sa réalité
« Ils s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière, parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté le Père a ressuscitée. Ainsi ceux qui refusent le don de Dieu meurent dans leurs disputes. Il leur serait utile de pratiquer la charité pour ressusciter eux aussi. Il convient de vous tenir à l’écart de ces gens-là, et de ne parler d’eux ni en privé ni en public, mais de vous attacher aux prophètes, et spécialement à l’Evangile, dans lequel la passion nous est montrée et la résurrection accomplie. Et les divisions, fuyez-les comme le principe de tous les maux. » (3)
On voit ici avec quelle force Ignace affirme la réalité de l’Eucharistie. Toutefois, réalisme ne doit pas être confondu avec matérialisme.
Le corps et le sang de Jésus
En effet, ce langage réaliste ne doit pas non plus être assimilé trop vite à une conception matérialiste de l’Eucharistie, car Ignace écrit aussi :
« Vous donc, armez-vous d’une douce patience, et recréez-vous dans la foi, qui est la chair du Seigneur, et dans la charité, qui est le sang de Jésus-Christ. » (4)
Foi et œuvres
« Rien de tout cela ne vous est caché, si vous avez parfaitement pour Jésus-Christ la foi et la charité, qui sont le commencement et la fin de la vie : le commencement, c’est la foi, et la fin, c’est la charité. Les deux réunies, c’est Dieu, et tout le reste qui conduit à la perfection de l’homme ne fait que suivre. Nul s’il professe la foi, ne pèche ; nul s’il possède la charité ne hait. On connaît l’arbre à ses fruits : ainsi ceux qui front profession d’être du Christ se feront reconnaître à leurs œuvres. Car maintenant l’œuvre qui nous est demandée n’est pas simple profession de foi, mais d’être trouvés jusqu’à la fin dans la pratique de la foi. » (5)
Métaphore concernant la Trinité
« J’ai appris que certains venant de là-bas sont passés chez vous, porteurs d’une mauvaise doctrine, mais vous ne les avez pas laissés semer chez vous, vous bouchant les oreilles, pour ne pas recevoir ce qu’ils sèment, dans la pensée que vous êtes les pierres du temple du Père, préparés pour la construction de Dieu le Père, élevés jusqu’en haut par la machine de Jésus-Christ, qui est la croix, vous servant comme câble de l’Esprit-Saint ; votre foi vous tire en haut, et la charité est le chemin qui vous élève vers Dieu. » (6)
Ignace d’Antioche, victime expiatoire
Enfin, notons qu’Ignace d’Antioche n’hésite pas à présenter son martyre comme un sacrifice à Dieu, lui-même étant une victime expiatoire :
« Je suis votre victime expiatoire, et je m’offre en sacrifice pour votre Eglise, Ephésiens, qui est renommée à travers les siècles » (7)
Dans d’autres passages, Ignace d’Antioche parle aussi de sa mort comme d’une rançon.
Notes
(1) Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, 4-5.
(2) Ignace d’Antioche, Lettre aux Magnésiens, 6.
(3) Ignace d’Antioche, Lettre aux Smyrniotes, 7.
(4) Ignace d’Antioche, Lettre aux Tralliens, 8, 1.
(5) Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, 14.
(6) Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, 9, 1.
(7) Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, 8.
Bibliographie
Les Pères Apostoliques, (trad. P.-Th. Camelot), Paris, Le Cerf, 2011.
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