Montée à Jérusalem : Jésus a-t-il menti ? (Jean 7)

Dimanche 11 septembre 2016 a eu lieu un débat entre chrétiens (Morgan Priest & Guillaume) et musulmans (Karim al-Hanifi & Abdullah Al-Hanifi) sur la divinité de Jésus. Il y aurait beaucoup de choses à dire, mais j’aimerais simplement revenir sur un point.

Jésus a-t-il menti ?

Lors du temps des questions/réponses, un spectateur musulman a cité Jean 7 : 8-10 et a posé la question suivante : Jésus a-t-il menti ?

« Montez, vous, à cette fête; pour moi, je n’y monte point, parce que mon temps n’est pas encore accompli. Après leur avoir dit cela, il resta en Galilée. Lorsque ses frères furent montés à la fête, il y monta aussi lui-même, non publiquement, mais comme en secret »

Cette question est parfaitement légitime. En effet, si on se limite à ce passage, on voit que Jésus dit qu’il ne montera pas à Jérusalem et pourtant, il finit par y monter. On peut donc se demander : Jésus a-t-il menti ?

De nouvelles directives

Tout d’abord, il est important de rappeler que le péché c’est avant tout l’indépendance vis-à-vis de Dieu. Jésus était sans péché car il suivait constamment les directives de son Père.

Entre la discussion avec ses frères et sa montée à Jérusalem, un certain temps s’est écoulé (peut-être quelques heures ou quelques jours) et Jésus a très bien pu avoir une nouvelle directive du Père durant ce temps.

Il avait refusé de monter avec ses frères car ce n’était pas la volonté du Père à ce moment, mais il y est ensuite monté lorsque le Père lui a ordonné.

Cependant, je pense que dans ce récit, l’évangéliste insiste surtout sur un autre point que j’aimerais maintenant examiner.

Le contexte et la question

Je pense toutefois que le problème est de se limiter à ce simple extrait et que pour comprendre la réponse de Jésus, il faut reprendre l’intégralité du passage (Jean 7 : 1-10) :

« Après cela, Jésus parcourait la Galilée, car il ne voulait pas séjourner en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. Or, la fête des Juifs, la fête des Tabernacles, était proche. Et ses frères lui dirent: Pars d’ici, et va en Judée, afin que tes disciples voient aussi les oeuvres que tu fais. Personne n’agit en secret, lorsqu’il désire paraître: si tu fais ces choses, montre-toi toi-même au monde. Car ses frères non plus ne croyaient pas en lui. Jésus leur dit: Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne peut vous haïr; moi, il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses oeuvres sont mauvaises.  Montez, vous, à cette fête; pour moi, je n’y monte point, parce que mon temps n’est pas encore accompli. Après leur avoir dit cela, il resta en Galilée. Lorsque ses frères furent montés à la fête, il y monta aussi lui-même, non publiquement, mais comme en secret. »

Ses frères, qui sont incrédules, ne lui demandent pas simplement de monter à Jérusalem, mais d’y monter publiquement et dans un but précis : prouver sa messianité. Or, ce que refuse Jésus, c’est précisément cela : non la montée à Jérusalem, mais la montée dans les conditions et le but proposés par ses frères.

Intentions, moyens et temps

Avant de revenir sur ce passage précis, j’aimerais rappeler un grand principe biblique. Dans les Ecritures, ce n’est pas l’action seule qui compte, mais aussi l’intention, le moyen et le moment.

Une action peut être bonne en soi, si elle n’est pas réalisée dans les conditions, le temps ou par le moyen souhaités par Dieu, alors elle devient un péché. Nous avons de nombreux exemples de cela dans les Ecritures et j’aimerais simplement en prendre un dans chaque Testament.

Dans l’Ancien Testament, on peut évoquer la remontée de l’Arche par David. Celui-ci ramène l’Arche à Jérusalem, ce qui est conforme à la volonté de Dieu, mais parce qu’il n’utilise pas le bon moyen de transport, cette bonne intention se transforme en péché et cause la mort d’un homme (2 Samuel 6).

Dans le Nouveau Testament, on peut citer l’épisode de la tentation. Au début de son ministère, Jésus est tenté par Satan. Celui-ci lui propose notamment du pain pour se nourrir et la domination sur les royaumes de Terre. En soit, ces choses ne sont pas mauvaises, il est normal de se nourrir et Jésus mérite cette domination, d’ailleurs il l’obtiendra.

Toutefois, ce n’est pas encore le moment et surtout ce n’était pas le bon moyen. Satan lui propose d’obtenir la domination en se prosternant devant lui, mais Jésus obtiendra cette domination en lui écrasant la tête sur la croix.

La proposition des frères

Revenons maintenant à notre texte. Je pense que plusieurs indices peuvent venir confirmer mon interprétation.

  1. Tout d’abord, le rédacteur insiste sur le but de la demande des frères et le met en rapport avec leur incrédulité.
  2. Dans sa réponse, Jésus insiste sur le fait que son temps n’est pas encore accompli. Le problème n’était donc pas de monter à Jérusalem, mais bien d’y monter pour démontrer sa messianité, qui conduira à sa mort.
  3. Enfin, Jean précise que la montée de Jésus se fait dans le « secret », ce qui renvoie à la demande des frères, qui lui reprochaient justement d’agir ainsi. Cette montée est donc différente de la proposition initiale.

Jésus, les pharisiens et les sadducéens

Pour terminer, j’aimerais proposer un autre texte où l’on voit Jésus dans une situation tout à fait similaire :

«Les pharisiens et les sadducéens abordèrent Jésus et, pour l’éprouver, lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel. Jésus leur répondit: Le soir, vous dites: Il fera beau, car le ciel est rouge; et le matin. Il y aura de l’orage aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre. Vous savez discerner l’aspect du ciel, et vous ne pouvez discerner les signes des temps. Une génération méchante et adultère demande un miracle; il ne lui sera donné d’autre miracle que celui de Jonas. Puis il les quitta, et s’en alla. » (Matthieu 16 : 1-4)

Dans ce passage, ce sont les pharisiens et les sadducéens qui l’interrogent. Mais ceux-ci ont une attitude semblable aux frères, puisqu’ils formulent une demande, motivée par leur incrédulité, pour éprouver Jésus.

Jésus refuse leur demande et leur dit qu’il ne sera donné à cette génération « aucun autre miracle que celui de Jonas ». Pourtant, cela n’a pas empêché Jésus de réaliser de nombreux miracles devant ses contemporains.

Simplement, comme pour la demande des frères, ce que Jésus refuse ce n’est pas de réaliser un miracle, mais de le réaliser dans les conditions et pour le but fixés par ses interlocuteurs.

Conclusion

Au moment de répondre à ses frères, Jésus savait-il déjà qu’il devrait monter secrètement ou a-t-il reçu ensuite cette directive du Père ? Je pense que le texte ne permet pas de trancher.

Ce qui est certain, c’est que la réponse de Jésus ne portait pas sur le fait même de monter à Jérusalem, mais sur le fait d’y monter dans les conditions et pour le motif proposés par ses interlocuteurs, comme l’indique clairement la deuxième partie de la phrase.

Ces derniers voulaient une montée publique afin que Jésus démontre sa messianité, ce qu’il refuse. Jésus y montera secrètement, car « son temps n’était pas encore venu ».

Si le temps n’était pas encore venu, c’est notamment parce que les fêtes de l’Ancien Testament ont une valeur prophétique. Jésus a refusé de monter publiquement avec ses frères au moment de la fête des Tabernacles, car il savait que dans ce cas-là il serait mis à mort. Or, Jésus ne devait pas mourir lors de la fête des Tabernacles, mais lors de la fête de Pâques et c’est effectivement ce qui se passera.

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A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.