Doit-on connaître la culture des personnes à qui on annonce l’Evangile?

Il y a quelques temps, j’ai assisté à une conversation entre plusieurs évangéliques sur la question de l’évangélisation et plus précisément sur la manière dont on annonçait l’Evangile.

Plusieurs d’entre eux estimaient qu’étudier les autres religions, en l’occurrence ici l’islam, ou plus généralement s’intéresser à la culture des personnes à qui on annonçait l’Evangile ne servait à rien. Il suffit d’annoncer le « message de l’Evangile » qui est le même et ne change pas.

De mon côté, je pense au contraire qu’il est indispensable de bien connaître la culture et les convictions des personnes à qui l’on s’adresse si l’on veut annoncer l’Evangile de manière pertinente. C’est ce que j’aimerai expliquer dans cet article

Jésus et les premiers chrétiens

De son vivant, à quelques exceptions près, Jésus a annoncé l’Evangile à son peuple, puisque c’était là sa mission : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » (Matthieu 15 : 24)

La question de la différence culturelle ne se posait donc pas. C’était aussi le cas durant les premières années de l’Eglise, quand les disciples de Jésus s’adressaient à leurs compatriotes.

Les choses changent lorsque Paul commence à annoncer l’Evangile aux païens.

« Si j’annonce l’Évangile, ce n’est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée, et malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile! Si je le fais de bon coeur, j’en ai la récompense; mais si je le fais malgré moi, c’est une charge qui m’est confiée. Quelle est donc ma récompense? C’est d’offrir gratuitement l’Évangile que j’annonce, sans user de mon droit de prédicateur de l’Évangile. Car, bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre.

Avec les Judéens, j’ai été comme Judéen, afin de gagner les Judéens; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi (quoique je ne sois pas moi-même sous la loi), afin de gagner ceux qui sont sous la loi;  avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi.

 ‘ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. Je fais tout à cause de l’Évangile, afin d’y avoir part. » 1 Corinthiens 9 : 16-23

L’exemple de Paul

Dans les Actes des apôtres, nous voyons que Paul s’adapte à son auditoire. S’adressant à des Judéens, il insiste sur sa formation judaïque :

« Je suis Judée, né à Tarse en Cilicie; mais j’ai été élevé dans cette ville-ci, et instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères, étant plein de zèle pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui. » Actes 22 : 3

S’adressant à des païens, il montre sa connaissance des auteurs grecs :

« car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes: De lui nous sommes la race… » Actes 17 : 28

Paul montre à ses auditeurs qu’il connaît leur culture. Il essaye aussi de partir d’un terrain commun, en relevant ce qui est bon, afin d’amener ses interlocuteurs plus loin dans la connaissance de Dieu :

« Paul, debout au milieu de l’Aréopage, dit: Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux.  Car, en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription: A un dieu inconnu! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce. » Actes 17 : 22-23.

Adaptation = trahison ?

Adaptation ne veut pas dire trahison. En effet, s’il est vrai que le message de l’Evangile est le même pour tous, les obstacles à ce message, eux, diffèrent, et il nécessaire de prendre en compte ces obstacles, si l’on veut être pertinent dans l’annonce de l’évangile.

Considérons, par exemple, les contemporains des apôtres, en distinguant les Judéens et les Grecs. A tous, les apôtres annonçaient le même Evangile, mais ce qui posait problème aux uns et aux autres différait.

Pour les Judéens, c’était l’affirmation d’un Messie crucifié, car cela allait à l’encontre de leur espérance messianique qui consistait en l’attente du rétablissement d’une royauté israélite terrestre. En revanche, l’idée d’une résurrection corporelle était très bien comprise, puisque les Judéens de l’époque, à l’exception des Sadducéens, adhéraient déjà à cette idée.

Pour les Grecs, au contraire, l’évocation d’un Messie crucifié n’était pas problématique, puisqu’ils n’avaient pas grandi dans l’attente du rétablissement d’un royaume israélite terrestre. Par contre, l’idée d’une résurrection corporelle était complètement étrangère à leur pensée et constituait un point d’achoppement.

« Lorsqu’ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquèrent, et les autres dirent: Nous t’entendrons là-dessus une autre foi » Actes 17 : 32

Cet exemple peut aussi être transposé à notre époque. Prenons l’affirmation centrale de l’Evangile, à savoir que Jésus est le Messie crucifié, et comparons-la aux deux grandes autres religions monothéistes : l’islam et le judaïsme.

Cette proposition contient en réalité une double affirmation et sera refusée aussi bien par les juifs que par les musulmans. On pourrait croire que le problème est le même, mais en examinant plus en détail, on s’aperçoit que pour chaque groupe, c’est un terme différent de l’énoncé qui pose problème.

Un juif sait que Jésus ait été crucifié mais il refuse son identité messianique. Un musulman, en revanche, croit à la messianité de Jésus, mais refuse d’admettre sa crucifixion.

Le message annoncé est donc le même, mais l’obstacle à sa réception est différent : dans le premier cas, c’est la messianité de Jésus qui pose problème, dans le second c’est sa crucifixion. Puisque l’obstacle est différent, il est nécessaire d’apporter une réponse appropriée à chaque cas.

Respect et attention

Enfin, montrer à son interlocuteur que l’on s’intéresse à sa culture et à ses croyances, c’est aussi une forme de respect qui conduira la personne à être mieux disposée pour écouter ce qu’on a à lui dire.

Que penserions-nous de quelqu’un qui viendrait vers nous en prétendant nous apporter « la Vérité » sans même daigner s’intéresser à ce que nous croyons, à ce que nous pensons ? Lui accorderions-nous la moindre attention ?

Savoir écouter l’autre et apprendre à le connaître est aussi une étape importante dans l’annonce de l’Evangile.

Conclusion

En conclusion, je dirai que le message de l’Evangile est un, mais que dans son unité, il comporte de multiples facettes.

Lorsque nous annonçons l’Evangile, il est important de connaître et de comprendre la personne à qui l’on s’adresse. De savoir quels sont les points d’accord et quels sont les points de désaccord. Qu’est-ce qui peut servir de base à l’annonce de l’Evangile et quels sont au contraire les obstacles qui empêchent la personne d’accepter le message. Ainsi, nous pourrons présenter de manière pertinente l’Evangile à nos contemporains.

A propos David Vincent 300 Articles
Né en 1993, David Vincent est chrétien évangélique et doctorant en sciences religieuses à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (#GSRL). Ses recherches portent sur l’histoire de la théologie chrétienne et de l’exégèse biblique, les rapports entre théologie et savoirs profanes, et l’historiographie confessionnelle. Il est membre de l’association Science&Foi et partage ses travaux sur son blog et sa chaîne Youtube.